Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

6. Aussitôt lui adressant la parole : « Avec quelle grâce, ma jolie Palestra, tu remues et tournes à la fois le derrière et la poêle ! Mes reins aussi se remuent à voir pareille sauce ; heureux qui pourrait y tremper le doigt ! » Mais elle, fillette espiègle et gentille : « Fuyez, jeune homme, dit-elle, si vous êtes sage et si vous voulez vivre ; tout ici est plein de fumée et de feu. Rien qu’en me touchant, vous vous brûleriez et resteriez cloué là, sans que dieu ou médecin pût vous guérir, excepté moi qui vous aurais brûlé. Et, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que je vous ferais souffrir de plus en plus, et j’augmenterais votre douleur en voulant la soulager. Cependant vous tiendriez bon et l’on vous chasserait à coups de pierres, que vous ne pourriez fuir un mal si doux. Pourquoi rire ? Vous avez devant vous une terrible cuisinière d’hommes ; je ne me borne pas à fricasser des mets communs et vulgaires ; mais quand je trouve quelque grand et beau gaillard, je l’égorge, je lui enlève la peau et le coupe en morceaux, m’attaquant surtout aux entrailles et au cœur. — Je te crois, lui répondis-je : car, quoique je me sois toujours tenu loin de toi, tu ne m’as pas seulement brûlé, par Jupiter ! tu m’as mis le corps tout en feu ; ta flamme, m’entrant par les yeux, me pénètre jusqu’à la moelle ; tu me rôtis, moi qui ne t’ai rien fait. Au nom des dieux, guéris-moi avec ces remèdes aigres-doux dont tu me parlais ; prends-moi, coupe-moi le cou et écorche-moi, comme tu voudras. » Palestra fait alors un grand éclat de rire et m’appartient de ce moment. Nous convenons que le soir même, quand elle aurait mis ses maîtres au lit, elle viendrait me trouver et coucherait avec moi.

7. Un instant après, Hipparque rentre : nous allons au bain, nous dînons, nous buvons rasade et causons gaiement. Alors, faisant semblant d’avoir sommeil, je me lève et me rends à ma chambre. Tout était en bel ordre : le lit de mon valet dehors ; près du mien, une table avec un gobelet, le vin tout prêt, eau froide et chaude. Palestra avait songé à tout ; sur mon lit, nombre de roses éparses ou entières, ou effeuillées, ou tressées en couronnes. Trouvant ainsi le festin préparé, je n’attendais plus que le convive. Elle, après avoir couché sa maîtresse, arrive aussitôt.

8. Ce fut un grand régal de vin et de baisers. Quand le boire nous eut bien armés pour la nuit : « Songe bien, jeune homme, me dit Palestra, que te voilà à la palestre ; il faut montrer si tu es un garçon vigoureux et si tu sais plus d’un genre d’exercice.

— Tu ne me verras pas, lui dis-je, reculer devant ton défi ; déshabille-toi et entrons en lutte. — Allons, dit-elle, comme