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OU L’HOMME QUI S’INSTRUIT.


Triéphon. Ah ! Critias, si les enchantements pouvaient opérer de tels miracles, on pourrait peut-être les employer à ramener les morts à la douce lumière. Va, tout cela n’est que chansons, contes d’enfants et fables accréditées par les récits merveilleux des poëtes. Laissons là cette Gorgone.

11. Critias. Rejetteras-tu aussi Junon, l’épouse et la sœur de Jupiter ?

Triéphon. Pas un mot de cette infâme union : ne me parle pas de cette déesse aux pieds et aux mains étendus.

12. Critias. Par quelle divinité veux-tu donc que je jure ?

Triéphon.

Jure par le grand dieu, qui règne au haut des cieux,
Par le Fils, par l’Esprit, qui procèdent du Père,
Un en trois, trois en un, incroyable mystère !
C’est le vrai Jupiter : il n’est point d’autres dieux[1].

Critias. Tu veux m’apprendre à compter. Tu fais de l’arithmétique un serment. Tu calcules comme Nicomaque de Gérasa[2]. Je ne sais pas ce que tu veux dire avec ton trois en un, un en trois. Veux-tu parler du quaternaire de Pythagore[3], de la huitaine ou de la trentaine ?

Triéphon.

Du silence ! respect à ceux qui ne sont plus[4] !


Il ne s’agit pas ici de mesurer le saut d’une puce[5]. Je vais t’apprendre ce que c’est que le tout, quel est l’être qui précède tous les autres, enfin quel est le système de l’univers. Dernièrement, en effet, il m’est arrivé la même chose qu’à toi. J’ai rencontré un Galiléen, chauve, au nez aquilin, qui est monté jusqu’au troisième ciel, où il avait appris des choses étonnantes[6]. Il nous a renouvelés par l’eau ; il nous a fait marcher sur les traces des bienheureux, et nous a rachetés du séjour des impies. Si tu veux m’écouter, je te rendrai vraiment homme.

13. Critias. Parle, ô très-savant Triéphon, je suis tout saisi de frayeur.

  1. Ce dernier vers est d’Euripide, Fragm. incertains.
  2. Nicomaque de Gérasa, ville d’Arabie, philosophe pythagoricien, mathématicien et musicien habile, florissait vers l’an 150 avant Jésus-Christ. Ses écrits sur l’arithmétique existent encore.
  3. Voy. les Sectes à l’encan.
  4. Vers d’un poëte inconnu.
  5. Voy. les Nuées d’Aristophane, p. 110 de la traduction de M. Artaud.
  6. On dit que c’est saint Paul.