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OU L’HOMME QUI S’INSTRUIT.


perte de Crésus, des Salaminiens et de mille autres, qui rend à ceux qui le consultent des oracles à double sens ?

6. Critias. Par Neptune alors ! Il tient en ses mains un trident ; sa voix est perçante et redoutable ; il crie dans un combat plus fort que neuf ou dix mille hommes[1] ; et de plus, Triéphon, son nom veut dire qu’il ébranle toute la terre[2].

Triéphon. Tu veux parler de ce suborneur, qui dernièrement a violé Tyro[3], fille de Salmonée, c’est-à-dire un adultère sans pudeur, protecteur et patron de tous ceux qui l’imitent. Quand Mars fut enfermé dans un filet, et pris avec Vénus dans des liens indissolubles, tous les autres dieux, pleins de confusion, gardaient le silence ; Neptune, qui dompte les coursiers, se mit à fondre en larmes, comme un bambin qui a peur de son maître, ou comme les vieilles femmes qui trompent les jeunes filles. Il supplia Vulcain de délier Mars, et le boiteux, par pitié pour un vieux dieu, mit Mars en liberté. Il est donc adultère, puisqu’il fait délivrer ceux qui le sont.

7. Critias. Et. Mercure ?

Triéphon. Ne me parle pas de ce méchant valet du lubrique Jupiter[4] : son libertinage le jette dans toutes sortes d’intrigues.

8. Critias. Je ne te proposerai ni Mars, ni Vénus, d’après la manière dont tu viens de parler. Laissons-les donc. Mais Minerve, cette vierge, cette déesse armée, terrible, qui porte sur sa poitrine la tête de la Gorgone, qui détruisit la race des Géants, j’en puis parler. Tu n’as rien à dire contre elle.

Triéphon. J’ai une question à te faire à son sujet, si tu veux bien me répondre.

Critias. Demande ce qu’il te plaira.

Triéphon. Dis-moi, Critias, à quoi lui sert la Gorgone, et pourquoi la déesse la porte-t-elle sur sa poitrine ?

Critias. C’est pour inspirer de l’effroi et détourner les périls. Elle frappe de terreur les ennemis et fait pencher la victoire du côté qu’il lui plaît.

Triéphon. c’est donc là ce qui rend invincible la déesse aux yeux gris ?

  1. Allusion à l’Iliade, V, v. 860.
  2. Les poëtes donnent à Neptune les noms de Ἐνοσίχθων (Enosichthôn) et Σεισίχθων (Seisichthôn), qui ébranle la terre.
  3. Voy. le XIIIe Dialogue marin.
  4. Cf. Fénelon, Lettre sur les occupations de l’Académie, X, 9 ; Fleury, Préface de l’Histoire ecclésiastique.