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néron ou le percement de l’isthme.

ronner dans les jeux olympiques ; les plus nobles des combats de la Grèce ; car, pour les jeux pythiques, il croit y avoir plus droit qu’Apollon lui-même : ce dieu, selon lui, n’oserait pas lui disputer le prix du chant ou celui de la cithare. Quant au percement de l’isthme, il n’y avait pas songé de longue main ; mais la vue du lieu et de sa position lui inspira l’idée d’une gigantesque entreprise : il voulut imiter ce roi[1], qui, pour conduire les Grecs devant Troie, sépara l’Eubée de la Béotie par le canal de l’Euripe, qui passe près de Chalcis ; Darius, qui jeta un pont sur le Bosphore, afin de descendre chez les Scythes ; Xerxès enfin, qui surpassa tous les ouvrages précédents par la grandeur de son œuvre. Il croyait, en outre, que cette facilité nouvelle de communication ferait de la Grèce une sorte de rendez-vous brillant et de banquet de tous les autres peuples : car les tyrans, malgré l’ivresse de leur esprit, aiment cependant à s’entendre célébrer[2].

3. Néron sortit donc de sa tente, chantant l’hymne d’Amphitrite et de Neptune, et quelques couplets en l’honneur de Mélicerte et de Leucothoé. Le gouverneur de la Grèce lui présenta un hoyau d’or, et l’empereur se mit en devoir de commencer la fouille au milieu des applaudissements et des chants. Par trois fois il frappa la terre, et, recommandant ensuite aux ouvriers la prompte exécution de l’ouvrage, il rentra dans Corinthe, se persuadant qu’il avait surpassé tous les travaux d’Hercule. Les prisonniers furent employés aux travaux pénibles des parties rocheuses, l’armée à ceux des terrains unis et légers.

4. Il y avait cinq ou six jours que nous étions, pour ainsi dire, enchaînés sur l’isthme, lorsqu’un bruit vague se répandit de Corinthe que Néron avait changé d’avis. On disait que des géomètres égyptiens, ayant mesuré la hauteur des deux mers, ne les avaient point trouvées de niveau ; ils croyaient que celle du golfe des Léchéens était plus élevée, et qu’il y avait à craindre qu’Égine ne fût submergée, si une mer aussi considérable venait tout à coup s’y répandre. Ce n’était point assez pour arrêter Néron : Thalès lui-même, ce philosophe si sage, si versé dans l’étude de la nature, n’y eût pas réussi. Il en était plus jaloux que de chanter en public.

5. Mais un soulèvement des nations occidentales, fomenté

    suivants, p. 292 et suivantes de la traduction d’Émile Pessonneaux. On y trouvera cités les passages de Tacite sur le même sujet.

  1. On croit qu’il s’agit d’Agamemnon.
  2. Il doit y avoir quelque lacune en cet endroit.