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chants de ses rivaux : tant il y a un charme irrésistible dans les plaisirs des yeux[1] !

20. « Je vais, si vous le désirez, vous en fournir pour témoin un homme plein de sagesse, qui vous attestera que ce que l’on voit cause une impression plus profonde que ce qu’on entend. Héraut, appelle ici Hérodote d’Halicarnasse, fils de Lyxus[2]. Le voici fort à propos ; qu’il paraisse devant vous et qu’il fasse sa déposition. Permettez-lui seulement d’employer, selon son habitude, le dialecte ionien : « Ce qu’on vous dit, à juges, est très-vrai ; croyez-en celui qui vous dit que la vue est préférable à l’ouïe : les oreilles, en effet, sont plus infidèles que les yeux[3]. » Vous venez d’entendre le témoin : il assigne le premier rang à la vue, et il a raison. Les paroles sont ailées, elles volent et disparaissent au sortir de la bouche. Mais le plaisir des yeux est permanent et durable ; il pénètre profondément le spectateur.

21. « Comment, en effet, ne pas convenir que c’est un rude adversaire pour un orateur qu’une demeure aussi belle, aussi admirable ? Je n’ai point encore dit ce qui me paraît la preuve la plus convaincante. Vous-mêmes, juges, tandis que je parle, vous levez les yeux vers la voûte, vous admirez les peintures qui décorent les murailles, vos regards passent de l’une à l’autre. N’en rougissez pas : on ne peut vous faire un crime de suivre un penchant si naturel à l’homme, surtout quand les sujets de la curiosité sont aussi beaux, aussi variés. La perfection de l’art et l’exactitude avec laquelle ces histoires sont représentées, offrent à la fois une histoire instructive des faits antiques et un plaisir réel, qui ne peut être bien goûté que par des spectateurs lettrés. Or, afin que vous ne m’abandonniez pas tout à fait pour fixer vos regards sur ces tableaux, je vais essayer de vous les décrire. Peut-être aurez-vous quelque plaisir à entendre ce que vos yeux ne se lassent point d’admirer ; peut-être accueillerez-vous cette description avec faveur, et m’accorderez-vous la préférence sur mon adversaire, puisque, tout en faisant preuve de talent, j’aurai doublé votre plaisir. Considérez toutefois et la difficulté et ma hardiesse d’essayer sans couleurs, sans poses et sans cadre, le dessin de tant d’images ; on ne peut faire qu’une légère esquisse au moyen du langage.

22. « À droite, en entrant, l’histoire d’un héros d’Argos est unie à une aventure éthiopienne. Persée tue le monstre marin

  1. Cf. Horace, Art poétique, v. 180 et suivants
  2. C’est l’illustre historien.
  3. Voy. Hérodote, I, viii.