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jet. C’est à présent mon adversaire qui parle : je vais lui faire place et je garde le silence.

15. « Citoyens juges, dit-il, l’orateur qui a parlé avant moi a prodigué les plus grands éloges à cet appartement, et, si j’ose le dire, il lui a donné par sa parole un nouvel éclat. Je suis tellement éloigné de lui en faire aucun reproche, que je suis prêt à suppléer aux louanges qui ont pu lui échapper ; mais plus cette demeure nous paraîtra belle, plus il sera démontré qu’elle ne peut servir au dessein de celui qui veut y prononcer un discours. Et d’abord, puisque mon adversaire a parlé des femmes et de leurs parures d’or, permettez-moi d’employer la même comparaison. Je soutiens qu’une riche parure, loin de faire valoir la beauté d’une femme, s’oppose à son effet, attendu que tous ceux qui la verront, éblouis de l’éclat de l’or et des pierreries, au lieu d’admirer en elle la blancheur de son teint, la vivacité de ses yeux, son cou, ses bras ou ses doigts, ne feraient attention qu’à la sardoine, à l’émeraude, au collier ou aux bracelets ; en sorte que cette beauté pourrait justement s’offenser de ce qu’on l’oublie, pour ne s’occuper que de ses ornements, qui ne laissent pas aux spectateurs le temps de louer ses attraits, et ne la font considérer que comme un accessoire de ce plaisir des yeux.

16. « C’est aussi ce qui doit nécessairement arriver à celui qui se hasarde à prononcer un discours au milieu de tant de chefs-d’œuvre des arts. Ce qu’il dit est bientôt éclipsé par toutes les beautés qui l’environnent : l’éclat s’en amortit et s’en efface comme celui d’une lampe qu’on placerait au milieu d’un grand bûcher, et les paroles s’amoindrissent comme une fourmi placée auprès d’un éléphant ou d’un chameau. Un pareil théâtre est redoutable à un orateur. D’ailleurs, en parlant dans un lieu si retentissant et si sonore, la voix devient aisément confuse. L’écho y renvoie les sons, les reproduit, les répète, ou plutôt il couvre l’organe de l’orateur : on dirait une trompette écrasant les accords d’une flûte qui résonne avec elle, ou la mer étouffant les accents des rameurs, lorsque, malgré le bruit des flots, ils veulent manœuvrer en chantant : car un son plus fort l’emporte toujours sur un plus faible et le réduit au silence.

17. « Mon adversaire dit encore que la vue d’une demeure magnifique anime le génie d’un orateur. C’est, selon moi, l’inverse qui a lieu : elle étonne, elle effraye, elle trouble l’esprit, et le rend d’autant plus timide qu’il sait que rien n’est plus honteux que de faire entendre, dans un séjour rempli de beautés, des discours qui ne lui ressembleraient pas. La faiblesse de son ta-