Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

danger, doucement rapides, agréables au nageur, fraîches pendant l’été. Si bien que, quand il aurait pu prévoir la maladie qui en fut la conséquence, il n’aurait pas, je crois, résisté au plaisir de se plonger dans ce bain. De même, à la vue d’un appartement vaste et magnifique, éclairé de la lumière la plus pure, où l’or étincelle de toutes parts, où la peinture étale la richesse de ses couleurs, quel est l’orateur de profession qui ne désirerait y prononcer quelque discours, s’y faire applaudir, s’y créer une réputation, le faire remplir de danseurs, et contribuer ainsi de tous ses moyens à l’embellir ? Qui pourrait, après un examen attentif de tant de merveilles, laisser ce lieu muet, sans y faire entendre sa voix, sans lui adresser la parole, sans converser avec lui ? Il faudrait être privé soi-même de la faculté de parler ou réduit au silence par l’envie.

2. Par Hercule ! ce ne serait pas agir en artiste, en homme qui se passionne pour les chefs-d’œuvre ; il y aurait grossièreté, lourdeur, absence totale de goût pour les arts, aveu de son incompétence en fait de beauté, éloignement barbare pour tout ce qui est grand, ignorance de ce principe que les hommes sans culture ne peuvent pas juger de certains spectacles comme ceux qui sont instruits. Il suffit aux premiers d’ouvrir les yeux, de jeter autour d’eux et de promener partout leurs regards, de lever la tête vers la voûte, de remuer la main en signe d’approbation, d’admirer en silence dans la crainte d’exprimer des sentiments qui ne soient point à la hauteur des objets dont ils sont frappés. Mais l’homme instruit, qui considère cette vue admirable, ne se contente pas de cette jouissance des yeux ; il ne reste pas spectateur muet de ces beautés ; il essaye, de son mieux, de s’en pénétrer et de les exprimer par une parole reconnaissante.

3. Ici la reconnaissance ne consiste pas seulement dans l’éloge. Cela pouvait suffire à ce jeune insulaire[1] qui, frappé de la beauté du palais de Ménélas, comparait à l’éclat des cieux l’ivoire et l’or qu’il y voyait briller, comme s’il n’eût rien vu d’aussi beau sur la terre. Mais prononcer un discours dans cette demeure, y rassembler les auditeurs les plus distingués pour y déployer son talent oratoire, c’est faire en partie son éloge. Rien n’est plus agréable, à mon avis, que de voir l’appartement le plus magnifique, où les louanges et les expressions de la faveur se font entendre de toutes parts, s’ouvrir pour recevoir nos discours, et qui, sonore comme les antres profonds,

  1. Télémaque. Voy. Odyssée, IV, v. 74.