lorsque les délateurs découvrent dans l’âme quelque partie faible, corrompue, d’un accès facile, ils dirigent leurs attaques de ce côté, appliquent leurs machines et finissent par se rendre maîtres de la place, sans que personne se mette en devoir de les repousser ou s’aperçoive de leur marche : une fois dans les murs, ils mettent le feu partout, brûlent, tuent, emportent ; or, tel est, on doit le croire, l’état d’une âme prise d’assaut et réduite en esclavage.
20. Les machines que les délateurs font jouer contre celui qui les écoute sont le mensonge, la fourberie, le parjure, l’insistance, l’effronterie et mille autres scélératesses ; mais la plus puissante de toutes est la flatterie, parente ou plutôt sœur de la délation. Il n’y a pas d’homme au cœur bien placé, à l’âme garnie d’un mur de diamant, qui puisse résister aux attaques de la flatterie, surtout lorsque la délation vient miner les fondements par des manœuvres souterraines.
21. Et ce n’est là que l’attaque extérieure. Mais au dedans combien de traîtres, d’intelligence avec l’ennemi, lui tendent la main, lui ouvrent les portes, et concourent de tout leur pouvoir à la perte de l’assiégé ! D’abord, c’est l’amour de la nouveauté, que la nature inspire à tous les hommes, et qui leur fait prendre en dégoût ce qu’ils ont à peine effleuré ; puis, c’est l’attrait qui nous porte vers tout ce qui est extraordinaire à entendre, c’est le charme étonnant que nous trouvons aux secrets qu’on nous confie à l’oreille et qui sont faits pour inspirer une foule de soupçons. Je sais, en effet, des personnes dont les oreilles sont aussi délicieusement chatouillées par la délation, que si on les caressait doucement avec une plume.
22. Soutenus par tous ces alliés, quand les délateurs montent à l’assaut, ils n’ont pas de peine, selon moi, à être vainqueurs, et cette victoire leur est d’autant plus facile, que personne ne se présente au combat et ne se met en devoir de repousser l’attaque. Au contraire, celui qui les écoute se livre lui-même de plein gré, et l’accusé ignore la trahison qu’on lui prépare : c’est ainsi que les habitants d’une ville prise la nuit sont tous égorgés pendant leur sommeil.
23. Mais ce qu’il y a de plus douloureux, c’est que le calomnié, qui ne se doute de rien, aborde son ami d’un air souriant ; et, comme sa conscience ne lui reproche aucun grief, il parle, il agit ainsi qu’à l’ordinaire. Hélas ! le malheureux est environné d’embûches. Pour l’autre, s’il a l’âme bien située, libre et loyale, il fait à l’instant éclater sa colère et donne cours à son ressentiment, jusqu’à ce qu’enfin, permettant une justifica-