de si vifs regrets, qu’il donna cent talents à Apelle et lui livra Antiphile pour qu’il en fît son esclave. Apelle, l’imagination pleine du danger qu’il avait couru, se vengea de la délation par le tableau que je vais décrire.
[5]5. Sur la droite est assis un homme qui porte de longues oreilles, dans le genre de celles de Midas : il tend de loin la main à la Délation qui s’avance. Près de lui sont deux femmes, l’Ignorance sans doute et la Suspicion. De l’autre côté on voit la Délation approcher sous la forme d’une femme divinement belle, mais la figure enflammée, émue, et comme transportée de colère et de fureur. De la gauche elle tient une torche ardente ; de l’autre elle traîne par les cheveux un jeune homme qui lève les mains vers le ciel et semble prendre les dieux à témoin. Il est conduit par un homme pâle, hideux, au regard pénétrant ; on dirait d’un homme amaigri par une longue maladie. C’est l’Envieux personnifié. Deux autres femmes accompagnent la Délation, l’encouragent, arrangent ses vêtements et prennent soin de sa parure. L’interprète qui m’a initié aux allégories de cette peinture m’a dit que l’une est la Fourberie et l’autre la Perfidie. Derrière elles marche une femme à l’extérieur désolé, vêtue d’une robe noire et déchirée : c’est la Repentance ; elle détourne la tête, verse des larmes, et regarde avec une confusion extrême la Vérité qui vient à sa rencontre. C’est ainsi qu’à l’aide de son pinceau Apelle représenta le danger auquel il avait échappé.
[6]6. À notre tour, essayons, s’il vous plaît, à l’exemple du peintre d’Éphèse, de décrire la Délation, avec tous ses attributs, et commençons par la définir : c’est le moyen de rendre son image encore plus ressemblante. La délation est une accusation faite en l’absence et à l’insu de l’accusé, et à laquelle croit un tiers, sans contradicteur. C’est là le fond de notre sujet. Nous avons ainsi trois personnages, comme dans les comédies, le calomniateur, le calomnié, et celui auquel s’adresse la calomnie. Considérons-les tour à tour et voyons-les agir suivant la vraisemblance.
[7]7. D’abord, si vous le voulez bien, introduisons sur la scène le protagoniste[1] du drame, je veux dire l’auteur de la délation. Ce n’est certainement pas un honnête homme : tout le monde le voit aisément, je crois. Car il n’y a pas d’honnête homme qui cherche à faire du tort à son semblable. C’est, au contraire, le
- ↑ L’acteur chargé des premiers rôles, celui que nous appelons chef d’emploi.