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deux octaves, comme je m'en suis convaincu en voyant un portrait de Pyrrhus ; et, malgré cela, il s'imaginait que chacun de ses traits rappelait ceux du roi de Macédoine. Mais j'y songe, c'est faire injure à Pyrrhus que de te comparer à lui. En revanche, voici qui te convient à merveille. Telle était l'erreur de Pyrrhus, telle l'opinion qu'il avait de lui ; et il n'y avait personne qui ne la partageât, personne qui ne fut atteint de la même maladie, jusqu'à ce qu'un jour à Larisse, une bonne femme étrangère, en lui disant la vérité, le guérît de cette pituite. Pyrrhus, lui ayant montré les portraits de Philippe, de Perdiccas, d'Alexandre, de Cassandre et d'autres rois, lui demanda auquel il ressemblait, convaincu qu'elle allait désigner Alexandre ; mais elle, après quelques moments d'hésitation : "A Batrachion, dit-elle, le cuisinier !" Il y avait, en effet, à Larisse un cuisinier nommé Batrachion qui ressemblait à Pyrrhus.

[22] Quant à toi, je ne saurais dire auquel des complaisants infâmes de nos danseurs tu ressembles davantage ; mais ce que je vois clairement, c'est que tu parais à tout le monde atteint d'une manie arrivée à son plus haut période, quand il s'agit de cette ressemblance imaginaire. Il n'est donc pas extraordinaire qu'étant si mauvais peintre, tu veuilles te donner des airs d'érudit, et que tu croies aveuglément les flatteurs qui te saluent de ce titre. Mais à quoi vais-je m'amuser ? Chacun voit la raison pour laquelle tu t'empresses tant d'acheter des livres, et, si je ne m'en suis pas aperçu plus tôt, c'est faute d'intelligence. Rien de plus ingénieux, selon toi du moins, que ton expédient, et tu te flattes des plus belles espérances, si le bruit de ton savoir arrive jusqu'à l'empereur, qui est savant lui-même et qui tient la science en grande estime. S'il entend dire de toi que tu achètes des livres et que tu en fais une belle collection, tu espères avant peu tout obtenir de lui.

[23] Eh quoi ! monstre d'impureté, crois-tu donc que l'empereur soit tellement enivré de suc de mandragore, qu'il puisse apprendre une partie de tes actions sans être instruit du reste, sans connaître la vie que tu mènes le jour, tes excès de table et tes débauches nocturnes ? Ne sais-tu pas que les yeux et les oreilles du prince sont partout ? Tes faits et gestes sont si publics, que les aveugles et les sourds n'y sont pas étrangers. Tu n'as qu'à dire un mot, tu n'as qu'à te déshabiller dans un bain, ou plutôt, sans te déshabiller, faire seulement mettre