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d'Euripide. Le lecteur en était à la scène où le messager vient annoncer la mort de Penthée et la fureur d'Agavé. Alors Démétrius, lui arrachant le livre et le mettant en pièces : " Mieux vaut, dit-il, pour Penthée d'être une bonne fois déchiré par mes mains que mille par ta bouche !" J'ai beau chercher en moi-même, je n'ai pas encore pu trouver le motif qui te pousse à courir ainsi après les livres, pour les acheter. Que ce soit pour ton utilité et ton besoin, c'est ce que ne pourront jamais se figurer même ceux qui ne te connaissent que de vue. On croira plutôt qu'un chauve achète un peigne ; un aveugle, un miroir ; un sourd, une flûte ; une femme galante, un eunuque ; un habitant de l'intérieur des terres, une rame ; un pilote, une charrue. Mais peut-être ta grande affaire est-elle de faire étalage de tes richesses, de montrer à tout le monde que tes immenses dépenses s'étendent jusqu'à l'achat d'objets parfaitement inutiles ? C'est possible ; mais, autant que j'ai pu le savoir en ma qualité de Syrien, si tu ne t'étais pas frauduleusement inscrit sur le testament d'un certain vieillard, tu mourrais de faim, et tu aurais mis en vente tous tes livres.

[20] Reste ceci, que les éloges de tes flatteurs t'ayant mis en tête que tu es non seulement aimable et beau, mais encore savant, orateur, historien, comme on n'en a jamais vu, tu dois nécessairement acheter des livres pour justifier leurs louanges. On dit donc que souvent, après le repas, tu leur lis quelque chose de ta façon, et que ces gens altérés se mettent à crier comme des grenouilles à sec, et n'ont à boire que quand ils se sont rompu les poumons. Mais je ne puis concevoir comment tu es assez niais pour te laisser ainsi mener par le nez, comment tu peux croire à tout ce qu'ils te disent, au point de te laisser persuader que tu ressembles à un souverain, comme le faux Alexandre, le faux Philippe, qui était fils d'un dégraisseur, le faux Néron qui a paru du temps de nos pères, comme tous ceux enfin dont le nom est marqué au coin du mensonge.

[21] Est-il étonnant, d'ailleurs, qu'un fou et un ignorant comme toi soit infatué de cette manie, et doit-on être surpris de te voir marcher la tête haute, copiant la démarche, le maintien, les regards de celui auquel tu te flattes de ressembler, quand on voit Pyrrhus, roi d'Épire, prince remarquable, du reste, se laisser gâter par ses courtisans, sous prétexte de ressemblance, au point de croire qu'il était tout le portrait d'Alexandre ? Cependant, pour parler avec les musiciens, il y avait entre eux la distance de plus de