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plus ridicules encore, ainsi qu'on en peut juger par ces platitudes doriques : L'épouse de Denys a vu son dernier jour. Et ensuite : J'ai perdu là, grands dieux, une épouse commode ! Et enfin cette maxime, sortie du même stylet : L'imbécile ici bas se fait illusion. Cette sentence, du moins, on dirait que Denys l'a composée exprès pour toi ; et l'on devrait, rien que pour cela, dorer le stylet qui l'a produite.

[16] Quel est donc ton espoir, lorsque tu es sans cesse occupé à rouler tes livres, à les coller, à les ébarber, à les frotter de safran et de cèdre, à les habiller de peaux, à les garnir d’ombilics ? Quel fruit te flattes-tu d'en recueillir ? Leur acquisition t'a-t-elle rendu plus vertueux ? Tu ne dis rien ? Te voilà plus muet qu'un poisson ! Mais ta vie est connue, et l'on n'a rien de beau à en dire. Une haine sauvage, comme on dit, environne de toutes parts tes mœurs éhontées. Ah ! si les livres produisent de pareils effets, il faut les fuir d'une fuite éternelle.

[17] Il y a deux avantages qu'on peut retirer du commerce avec les anciens : l'un est de s'exprimer avec élégance, l'autre d'apprendre à faire le bien par l'imitation des meilleurs modèles, et à éviter le mal. Mais celui qui, dans sa conduite et dans ses paroles, montre qu'il n'a retiré aucune utilité des livres, que fait-il autre chose que de tailler, en les achetant, de la besogne aux rats, des demeures aux vers et des coups aux esclaves sous prétexte de négligence ?

[18] Quelle ne doit pas être ta honte, lorsque quelqu'un, te voyant un livre à la main, et tu en as toujours, te demande de qui il est, orateur, historien, poète ? Comme tu en as lu le titre, tu as peut-être de quoi répondre, Mais si la conversation s'engage, comme il est tout naturel que cela arrive dans un commerce amical, et que ton interlocuteur blâme ou approuve certains passages, te voilà tout perplexe ; tu n'as pas un mot à dire. N'es-tu-pas près de souhaiter que la terre s'entre ouvre, nouveau Bellérophon qui fournis un livre contre toi ?

[19] Démétrius le cynique voyait un jour à Corinthe un ignorant qui lisait un livre splendidement orné ; c'étaient, je crois, les Bacchantes