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ÉLOGE DE LA MOUCHE.

[12] Il y a une espèce particulière de grandes mouches, qu’on appelle communément mouches militaires ou chiens : elles font entendre un bourdonnement très-prononcé ; leur vol est rapide ; elles jouissent d’une très-longue vie et passent l’hiver sans prendre de nourriture, cachées surtout dans les lambris. Ce qu’il y a de plus extraordinaire chez elles, c’est qu’elles remplissent la tour de rôle les fonctions de mâles et de femelles, couvrant après avoir été couvertes, et réunissant, comme le fils de Mercure et d’Aphrodite, un double sexe et une double beauté. Je pourrais ajouter encore bien des traits a cet éloge ; mais je m’arrête, de peur de paraître vouloir, comme dit le proverbe, faire d’une mouche un éléphant.



LVIII

CONTRE UN IGNORANT BIBLIOMANE[1].

[1] Certes, tu te proposes le contraire de ce que tu fais. Tu t’imagines paraître quelque chose dans la science en t’empressant d’acheter les plus beaux livres ; mais l’affaire tourne autrement et ne fait que mieux ressortir ton ignorance. D’autant plus que tu n’achètes pas les meilleurs livres, mais que, t’en rapportant à ceux qui en font l’éloge au hasard, tu deviens un don de Mercure pour les bouquinistes hâbleurs, un trésor assuré aux brocanteurs de cette espèce. Eh ! comment pourrais-tu distinguer les livres anciens, qui ont de la valeur, de ceux qui sont méprisables et moisis, si tu n’en juges que parce qu’ils sont rongés et percés, et si tu ne consultes que les teignes pour faire tes achats ? Quelle connaissance exacte, quelle sûreté, quel discernement espères-tu trouver en elles ?

[2] Quand je t’accorderais de pouvoir distinguer les belles copies de Callinus[2] et celles que le célèbre Atticus[3] a exécutées

  1. Cf. La Bruyère, De la mode, p. 304 de l’édition Charpentier.
  2. On ne sait rien de précis sur cet habile copiste.
  3. Quelques commentateurs pensent qu’il s’agit d’Hérode Atticus, le sophiste ; mais rien ne justifie cette conjecture.