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milieu de la mer et des flots. Ceux, au contraire, qui usent de leurs ailes, comme Dédale, sans s’élever trop haut et sans oublier qu’elles sont faites de cire, ménagent leur vol proportionné à la nature humaine, et, contents de raser les flots, où ils mouillent de temps en temps leurs ailes qu’ils n’exposent point à toute l’ardeur du soleil, ils arrivent sûrement et sagement à leur but. Voilà ce qu’on doit louer avant tout dans notre héroïne ; aussi mérite-t-elle que chacun lui souhaite, en retour de sa bonté, de conserver toujours ses ailes, et de voir affluer sans cesse de nouveaux biens.

22. Lycinus. Que tes vœux s’accomplissent, Polystrate ! Elle en est digne. Ses attraits ne se bornent pas, comme ceux d’Hélène, à la seule beauté du corps ; ils recèlent une âme mille fois plus belle et plus aimable. Il convenait qu’un prince, grand, bon et pacifique, joignît à tant d’autres avantages celui de voir naître sous son empire une femme si accomplie, et fût assez heureux pour obtenir sa tendresse. Ce n’est pas une médiocre félicité que d’être aimé d’une femme qui peut, comme le dit Homère, disputer à la Vénus d’or le prix de la beauté et s’égaler à Minerve pour manier l’aiguille[1]. Il n’est point, en effet, de mortelle qu’on puisse comparer à celle-ci pour le corps, ainsi que parle Homère[2], pour les charmes extérieurs, l’esprit et le travail des mains.

23. Polystrate. Tu dis vrai, Lycinus ; et, si tu veux m’en croire, nous réunirons tous nos portraits, et ceux que tu as faits de ses attraits physiques et ceux que j’ai tracés des beautés de son âme : nous en formerons une seule image, et nous la déposerons dans un livre, pour être l’objet de l’admiration commune du siècle présent et des siècles à venir. Tableau plus durable que ceux d’Apelle, de Parrhasius et de Polygnote, puisque, indépendamment des beautés qui le composent, il a le privilége de n’être fait ni de bois, ni de cire, ni de couleurs, mais inspiré de la pensée même des Muses, et de donner ainsi une image fidèle, qui représente à la fois et les charmes du corps et les vertus de l’âme.



  1. Iliade, X, v. 389.
  2. Iliade I, v. 115.