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mable. C’est celui que portait la belle épouse d’Abradate[1]. Tu as souvent lu, dans Xénophon, les éloges qu’il accorde à cette femme aussi sage que belle ?

Lycinus. Oui, par Jupiter ! et je crois toujours la voir, tant je suis ravi quand j’arrive à la lecture de ce passage. Peu s’en faut que je n’entende le discours que lui prête l’historien, lorsqu’elle arme son mari et l’envoie au combat.

11. Polystrate. Ah ! mon ami, tu n’as vu celle-ci qu’une fois, elle a passé devant tes yeux avec la rapidité d’un éclair ; tu ne peux donc louer en elle que des perfections ordinaires, je veux dire le corps et la beauté, mais tu n’as pu voir les perfections de son âme. Tu ne sais pas combien cette beauté divine surpasse en elle les attraits extérieurs. Moi qui suis son compatriote et son ami, et qui ai souvent échangé des paroles avec elle, je connais de plus la douceur de son caractère, son affabilité, l’élévation de son âme, la sagesse et la culture de son esprit, et je mets tout cela bien au-dessus de sa beauté. Ces charmes, en effet, sont bien préférables à ceux du corps, et il serait absurde et ridicule de faire plus de cas du vêtement que de la personne. À mon sens, la beauté parfaite consiste dans la réunion des vertus de l’âme et des perfections physiques. Or, combien de femmes je pourrais te montrer, qui sont belles, mais qui déshonorent leur beauté ! elles parlent, la fleur de leurs attraits se flétrit et se fane, et la gaucherie même de leurs gestes trahit l’union mal assortie de leur corps avec l’âme qui en est maîtresse. De pareilles femmes ressemblent aux édifices sacrés des Égyptiens ; le temple est grand et riche, orné de pierres précieuses, brillant de peintures et d’or ; mais si vous cherchez le dieu du sanctuaire, c’est un singe, un ibis, un bouc, un chat. Ainsi sont faites bon nombre de femmes. Ce n’est donc point assez de la beauté, si elle n’est relevée par de véritables ornements. Je n’entends pas par ce mot des vêtements de pourpre et des colliers, mais, comme je l’ai dit plus haut, la vertu, la sagesse, la douceur, l’aménité, toutes les qualités enfin dont notre belle offre le modèle.

12. Lycinus. Eh bien, Polystrate, récit pour récit, et paye-moi, comme on dit, de la même mesure ou même d’une plus forte : tu le peux. Trace-moi le tableau des vertus de son âme, afin que je ne l’admire pas à demi.

Polystrate. L’épreuve que tu m’imposes, mon ami, n’est pas facile. Il est bien différent de louer ce qui frappe tous les yeux

  1. Panthéa. Voy. Xénophon, Cyrop., VI, iv.