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PROMÉTHÉE OU LE CAUCASE.



VII

PROMÉTHÉE OU LE CAUCASE[1].




MERCURE, VULCAIN, PROMÉTHÉE.

[1] Mercure. Vulcain, voici le Caucase[2], où il faut clouer ce malheureux Titan : cherchons donc autour de nous quelque rocher commode, qui soit privé de neige, afin que les chaînes y entrent plus solidement et que celui-ci soit en vue de tout le monde, bien cloué.

Vulcain. Cherchons, Mercure ; il ne faut pas, en effet, l’enchaîner dans un lieu bas et voisin de la terre, de peur que les hommes qu’il a fabriqués ne viennent l’y délivrer ; et cependant il ne faut pas que ce soit trop haut, parce qu’on ne le verrait plus d’en bas ; mais, si tu veux bien, attachons-le à une hauteur moyenne, ici, au-dessus de ce précipice, les mains étendues, l’une sur ce rocher, l’autre sur celui qui est en face.

Mercure. Tu as raison. Ces roches sont escarpées, inaccessibles et pendantes de tous côtés : ce précipice n’offre qu’une place étroite où l’on puisse poser le pied ; à peine s’y peut-on tenir sur la pointe : nous ne saurions trouver de croix plus commode. Allons, Prométhée, pas de retard : monte ici, et laisse-toi de bonne grâce clouer à cette montagne.

[2] Prométhée. Ô Vulcain ! ô Mercure ! prenez pitié d’un malheureux qui n’a pas mérité son malheur[3].

  1. On ne comprendra bien les finesses de ce spirituel dialogue qu’après avoir lu le drame d’Eschyle, intitulé : Prométhée enchaîné. Voy. l’élégante et fidèle traduction de M. A. Pierron, dans la bibliothèque Charpentier.
  2. Le Caucase, connu dès la plus haute antiquité, et que Pline dérive d’un mot scythe, qui veut dire blanchi par la neige, s’étend entre l’Europe et l’Asie, dans la région caucasienne de l’empire russe, de la mer Noire à la mer Caspienne. Son plus haut sommet est l’Elbrouz ou Elbourz, à 5687 mètres au dessus du niveau de la mer.
  3. Cette plainte de Prométhée est bien loin du sublime silence qu’il garde