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ALCYON OU LA MÉTAMORPHOSE

Socrate. Il n’est pas grand, mais il a reçu des dieux une grande récompense de sa tendresse conjugale : durant tout le temps qu’il couve ses petits, le monde passe des jours nommés alcyoniens, remarquables par le calme qui règne su milieu même de la mauvaise saison ; c’est aujourd’hui l’un de ces plus beaux jours. Vois comme le temps est serein ! comme la mer tout entière est calme, sans vagues, et ressemble, pour ainsi dire, à un miroir !

Chéréphon. Tu dis vrai : on s’aperçoit que c’est aujourd’hui un jour alcyonien ; hier c’en était encore un. Mais, au nom des dieux, que devons-nous croire, Socrate, de ces légendes anciennes, qui prétendent que des oiseaux sont devenus femmes, et des femmes oiseaux. Ces sortes de métamorphoses me paraissent de tout point impossibles.

[3] Socrate. Cher Chéréphon, il me semble que nous sommes des juges bien peu clairvoyants de ce qui est ou non possible. Car nous jugeons des choses d’après la raison humaine, ignorante, infidèle, à vue courte : il s’ensuit que nous trouvons difficile ce qui est facile, et impraticable ce qui ne l’est pas ; bon nombre de ses erreurs viennent de notre inexpérience, bon nombre de la jeunesse de notre esprit. En effet, tout homme n’est réellement qu’un enfant, fût-ce même un vieillard, attendu que le temps de la vie est rapide comme celui de l’enfance, si on le compare à l’éternelle durée. Comment donc, cher ami, des hommes, qui ne connaissent la puissance ni des dieux ni des génies, pourraient-ils affirmer que des transformations de cette

    l’entrée est fort étroite, et si cachée, qu’il n’y a que l’alcyon qui puisse s’y glisser et la reconnaître ; la femelle s’accouple en tout temps avec le mâle de son espèce ; mais c’est au milieu de l’hiver qu’elle devient mère ; elle emploie sept jours à construire son nid, et sept autres à pondre et à élever ses petits : le temps de sa ponte passe pour un temps sacré ; ce temps est ordinairement celui du coucher des Pléiades (fin de novembre). Cet oiseau se pose sur les pierres, et chante assez agréablement ; alors la mer devient absolument calme et n’est plus agitée par le vent. Des deux sortes d’alcyons, la plus grosse n’a point de voix ; c’est, la plus petite qui chante : leurs plumes, comme les cheveux des hommes, changent avec l’âge, et l’on reconnaît les vieux alcyons à leur plumage. On dit que les femelles ne survivent guère aux mâles, et qu’à la mort de ceux-ci, elles restent sans boire ni manger. Les femelles s’appellent Céyces, et l’on prétend que, quand quelqu’un les entend chanter, c’est un signe très certain qu’il mourra bientôt. » (Trad. de Belin de Ballu.) Cf. Aristote, Des animaux, IV, xiv. Plutarque au traité De la tendresse qu’on a pour les enfants, décrit le nid de l’alcyon d’une manière très intéressante. L’alcyon paraît être le martin-pêcheur des naturalistes modernes.