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TIMON OU LE MISANTHROPE.

[52] Voilà le décret que je propose pour toi. Je voulais aussi t’amener mon fils auquel j’ai donné le nom de Timon.

Timon. Comment, Déméas ! Tu n’es pas marié, que je sache !

Déméas. Non, mais je me marie, s’il plaît à Dieu, l’année prochaine, et j’aurai des enfants, et mon premier-né, qui sera un garçon, s’appellera Timon.

Timon. Je ne sais pas si tu te marieras, mon ami, après le bon coup que tu vas recevoir.

Déméas. Aïe ! qu’est-ce donc ? Es-tu donc tyran d’Athènes pour frapper ainsi les citoyens libres, toi qui n’es ni libre ni citoyen ? Mais tu seras bientôt puni de tous tes méfaits, et pour avoir brûlé l’Acropole.

[53] Timon. L’Acropole n’a jamais été brûlée, coquin ! Et tu n’es qu’un sycophante !

Déméas. Oui ; mais tu t’es enrichi en entrant par-dessous terre dans l’intérieur du Parthénon.

Timon. Je n’y suis jamais entré, et personne ne croira ta langue.

Déméas. Alors tu veux y entrer, et tu as déjà volé le trésor qui s’y trouve.

Timon. Tiens ! reçois encore celui-là !

Déméas. Holà ! le dos !

Timon. Pas de cris ! ou je vais t’en donner un troisième. Il serait plaisant que j’eusse taillé en pièces deux bataillons de Lacédémoniens, moi qui n’ai jamais porté les armes, et que je ne pusse rosser un misérable drôle : vainement alors j’aurais été vainqueur à la lutte et au pugilat dans les jeux Olympiques

[54] Mais qui vient là ? n’est-ce pas le philosophe Thrasyclès ? C’est bien lui ; avec sa longue barbe, ses larges sourcils, il s’avance en se rengorgeant, le regard farouche comme un Titan, les cheveux de devant rejetés en arrière, comme le Borée ou le Triton, peinte par Zeuxis[1] : cet homme qui affecte un maintien sage, une démarche modeste, des vêtements simples, débite le matin mille beaux discours sur la vertu, blâme ceux qui se livrent aux plaisirs, et fait l’éloge de la frugalité, puis, le soir, après le bain, il se rend au souper, demande à l’esclave une large coupe pleine de vin (or il ne déteste pas le vin pur), et il semble alors qu’il ait bu les eaux du Léthé : le voilà, en effet, tenant des discours diamétralement opposés à ceux du matin, s’abattant sur mets comme un vautour, soudoyant son voisin,

  1. On pense que ses peintures étaient placées ses la portique nommé Pœcilé.