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LES AMOURS.

[38] « Et le mariage, dis-tu, n’est-ce donc rien ? Si vous proscrivez la race entière des femmes, comment le genre humain subsistera-t-il ? Il serait à désirer, comme l’a dit le sage Euripide[1], qu’affranchis du commerce des femmes, les hommes pussent aller dans les sanctuaires et dans les temples acheter avec de l’argent et de l’or des enfants destinés à perpétuer leur lignée. En effet, la nécessité, courbant nos cous sous le poids de son joug, nous contraint d’obéir à son empire : puisque la raison veut que nous choisissions ce qui est juste, l’utilité doit céder à la nécessité. Nous admettons donc les femmes pour donner des enfants ; mais pour le reste, point de femmes, je n’en veux pas. Et quel homme sensé pourrait soutenir le commerce d’une femme, qui, dès le matin, ne songe qu’à relever ses charmes par mille artifices, dont la laideur est la forme caractéristique, et qui corrige par des ornements étrangers ce que la nature offre en elle de révoltant ?

[39] « Si l’on voyait les femmes sortir le matin de leur lit, on s’apercevrait qu’elles sont plus dégoûtantes que ces animaux[2] dont on craint de prononcer le nom sinistre durant la matinée. Voilà pourquoi elles s’enferment exactement et fuient les regards des hommes. Un laid troupeau de vieilles et de servantes environnent leur laide maîtresse ; mille drogues sont employées pour dissimuler sa vilaine figure : car ce n’est point dans un ruisseau d’eau limpide qu’elle efface les traces d’un lourd sommeil, avant de se mettre à quelque sérieux ouvrage ; mais je ne sais combien d’espèces de fards conspirent pour rehausser son teint désagréable. Les ministres de sa toilette, rangées comme dans une procession publique, ont toutes quelque chose à la main, bassins d’argent, aiguières, miroirs, boites aussi nombreuses que dans la boutique d’un pharmacopole, vases où sont renfermées mille compositions perfides, trésors de l’art dont la puissance blanchit les dents ou noircit les paupières[3].

[40] « Mais ce qui dépense le plus de temps, c’est la frisure des cheveux. Les unes, au moyen de drogues qui rendent les boucles aussi étincelantes que le soleil à son midi, les teignent comme de la laine, et leur donnent un éclat blond qui leur fait perdre leur nuance naturelle. Celles qui croient qu’une chevelure noire leur sied mieux, épuisent à les parfumer la fortune de leurs

  1. Hippolyte, v. 618 et suivants.
  2. Les singes. Cf. Pseudologiste, 17.
  3. Voy. Dezobry, Rome au siècle d’Auguste, lettre xviii ; le Monde d’une femme.