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LES AMOURS.

qu’était son menton, il est devenu rude par la barbe dont il est garni, et ses cuisses arrondies se sont hérissées de poils. Je vous laisse, à vous gens d’expérience, le soin de connaître ce qui est plus caché. Une femme, au contraire, brille toujours, dans sa totalité, de couleurs gracieuses ; les boucles multipliées des cheveux qui couronnent sa tête ressemblent aux festons empourprés de la fleur d’hyacinthe : les uns flottent sur son dos pour embellir ses épaules, les autres tombent le long des oreilles et des tempes, plus frisés que l’ache qui croit dans nos prairies. Tout le reste de son corps, que n’enlaidit aucun duvet, est, comme on dit, plus transparent que l’ambre, plus brillant que le cristal de Sidon.

[27] « Mais parmi les plaisirs, pourquoi ne pas rechercher de préférence ceux qui sont réciproques, ceux qui réjouissent également et celui qui les procure et celui qui les reçoit ? L’homme ne se plaît point à mener une vie solitaire, comme les animaux privés de raison. Liés, au contraire, par les rapports intimes de la société, nous trouvons nos plaisirs plus doux et nos peines plus légères quand d’autres les partagent avec nous. De là l’invention d’une table commune : on la dresse pour être le centre d’une réunion amie ; et si nous accordons à notre estomac la mesure de jouissance qui lui est due, ce n’est point en buvant seuls, par exemple, le vin de Thase[1], et en nous gorgeant sans témoins de mets somptueux ; mais chacun n’y trouve de volupté qu’autant qu’un autre les partage avec lui, et c’est en communiquant nos plaisirs qu’ils deviennent plus délicieux. Or, le commerce des femmes procure une jouissance réciproque, et, après s’être également comblés, on se retire également satisfaits, à moins qu’il ne faille s’en rapporter au jugement de Tirésias, qui a déclaré que le plaisir de la femme est double de celui de l’homme. Il convient donc, selon moi, que les hommes, quand ils recherchent une jouissance, ne calculent point, par un excès d’égoïsme, comment ils en retireront un avantage exclusivement personnel et recevront d’un autre toute la somme du plaisir, mais par quel moyen ils pourront partager celui qu’ils goûtent et rendre volupté pour volupté. C’est ce qui ne peut arriver avec les jeunes garçons ; personne n’est assez fou pour le prétendre. Le philopède s’en va après avoir goûté, à ce qu’il croit une volupté parfaite ; mais celui qui subit cet outrage commence par la douleur et par les larmes ; puis lorsque, avec le temps, la souffrance est devenue moins cuisante, vous ne lui causez que de

  1. Île située près de la côte de Thrace, dans la mer Égée.