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LES AMOURS.

éclate chez des enfants excite en vous les passions les plus impétueuses ? Eh quoi, Platon, fallait-il aimer Phèdre, pour avoir trahi Lysias ? Convenait-il d’aimer la vertu d’Alcibiade, parce qu’il avait mutilé les statues des dieux, et qu’au milieu d’une débauche sa voix indiscrète avait révélé les mystères d’Éleusis ? Qui donc osera s’avouer pour son amant, lorsque Athènes est trahie, et Décélie fortifiée, lorsque sa conduite n’aspire qu’à la tyrannie ? En effet, pour parler avec le divin Platon[1], tant que ses joues ne furent point ombragées de barbe, il était aimable à tous les yeux ; mais quand il eut passé de la puberté à l’âge viril, et que sa raison jusqu’alors imparfaite eut acquis sa pleine maturité, il devint l’objet de la haine générale. Pourquoi donc, imposant des noms honnêtes à des sentiments honteux, appellent-ils vertu de l’âme ce qui n’est que beauté du corps, ces hommes plus épris de la jeunesse que de la sagesse ? Mais de peur de paraître ne rappeler ici le souvenir de ces illustres personnages que pour les rendre odieux, je n’en dirai pas davantage sur leur compte.

[25] « Je descends de ces reproches à l’examen de l’espèce de volupté que vous prétendez goûter, Callicratidas, et je vais prouver que l’usage d’une femme est en cela bien préférable à celui d’un jeune garçon. D’abord je pense que plus notre jouissance est de longue durée, plus elle est agréable. Un plaisir trop prompt s’envole rapidement ; il a cessé avant qu’on ait pu le connaître : c’est en se prolongeant qu’il devient plus délectable. Et plût aux dieux que la Parque avare nous eût filé de plus longs jours, qu’une inaltérable santé en eût rempli la durée, sans que jamais aucun chagrin eût empoisonné notre joie ! Tout le temps de notre vie n’eût alors été qu’une fête, qu’une solennité. Mais puisqu’un démon jaloux nous a refusé ces biens trop grands pour l’homme, parmi les plaisirs présents, les plus doux sont ceux qui durent le plus. Or, une femme, depuis sa puberté virginale jusqu’au milieu de son âge, et avant que les dernières rides de la vieillesse aient sillonné ses attraits, est un objet digne des embrassements et de la tendresse des hommes ; et, quand elle a passé l’époque de la beauté, son expérience peut encore parler plus éloquemment que les jeunes garçons.

[26] « Mais celui qui s’adresse à un jeune homme de vingt ans me paraît lui-même un coureur de jouissances infâmes, qui poursuit une Vénus ambiguë. Les membres d’un tel mignon, formés comme ceux d’un homme, sont robustes et nerveux : de délicat

  1. Au commencement du Protagoras.