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DÉMONAX.

motifs : d’abord pour le faire vivre, autant qu’il est en mon pouvoir, dans la mémoire des hommes vertueux ; ensuite pour que les jeunes gens bien nés et portés vers la philosophie ne soient plus réduits à ne trouver des modèles que dans l’antiquité, mais qu’ayant sous les yeux un exemple tiré de notre époque, ils puissent marcher sur les traces du plus parfait des philosophes que j’aie connus.

3. Démonax était né dans l’île de Cypre, d’une famille distinguée par le rang qu’elle occupait et par ses richesses. Supérieur toutefois à ces avantages, et se sentant entraîné vers les hautes régions du bien, il s’appliqua à la philosophie, sans y être poussé par Agathobule[1], par son devancier Démétrius[2] ou par Épictète. Il vivait dans leur commerce, et suivait de plus les leçons de Timocrate d’Héraclée[3], homme éclairé, plein de savoir et d’éloquence. Mais, ainsi que je l’ai dit, ce ne furent pas ces maitres qui l’appelèrent à l’étude de la sagesse. Il y fut conduit, dès son enfance, par un penchant naturel vers la vertu et par un amour inné de la philosophie ; et, méprisant tous les biens de ce monde, il se voua tout entier à la liberté et à la franchise, menant une vie droite, pure, irréprochable, offrant en exemple à ceux qui le voyaient ou qui l’entendaient, sa prudence et sa sincérité philosophique.

4. Ce ne fut pas, comme on dit, sans s’être lavé les pieds, qu’il entreprit de vivre de la sorte. Nourri des meilleurs poëtes, qu’il savait presque tous par cœur, il avait la parole exercée, connaissait toutes les sectes de la philosophie, non point à la surface, et, selon le proverbe, pour les avoir touchées du bout des doigts, mais il les avait approfondies, s’était fortifié le corps par le gymnase, et l’avait endurci par de rudes travaux ; en un mot, il s’était mis en état de n’avoir besoin de personne. Aussi, dès qu’il comprit qu’il ne pouvait plus se suffire à lui-même, il quitta volontairement la vie, laissant aux meilleurs des Grecs un long souvenir de ses vertus.

5. Il ne se retrancha pas dans un seul genre philosophique, mais il les réunit presque tous, sans jamais faire connaître à quelle secte il donnait la préférence. Il paraissait cependant adopter la doctrine de Socrate, quoique, par son extérieur et

  1. Philosophe qui vécut en Égypte vers l’an 120 de Jésus-Christ. Cf. Pérégrinus, 17.
  2. Voy. Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane, livre IV, chap. XXV.
  3. Cf. Alexandre ou le Faux prophète, 57. Il florissait vers l’an 130 après Jésus-Christ. Philostrate en fait l’éloge dans la Vie de Polémon.