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DE LA DANSE.

ni à la Grue[1], ni aux autres genres, qui n’ont aucun rapport avec la danse actuelle. Quant au genre phrygien, fait pour le vin, la table et l’ivresse, et dansé souvent par des gens grossiers, qui accompagnent leurs pas violents et fatigants d’un chant lascif soutenu par une flûte, il est encore en usage dans les campagnes, et je ne l’omets point par ignorance, mais il n’a rien de commun avec la danse de nos jours. Au reste, Platon, dans ses Lois[2], a donné des éloges à certains genres de danse, et en a formellement cordamné d’autres ; il distingue en eux ce qui est d’agrément et ce qui est d’utilité, rejetant ceux qui sont contraires à la décence, accordant tout honneur et toute admiration aux autres.

[35] Mais en voilà assez sur la danse : il serait hors de propos de pousser plus loin ce discours et de l’étendre outre mesure. Il est temps de te parler des talents nécessaires au danseur, des exercices qui lui conviennent, de ce qu’il doit savoir, des moyens par lesquels il peut perfectionner son art, afin que tu saches que la danse n’est pas un de ces arts faciles, qui s’apprennent aisément, mais une sorte de complément de toutes les sciences, de la musique, du rhythme, de la géométrie, et surtout de cette philosophie qui t’est chère, de la physique et de la morale ; il est vrai qu’elle a regardé la dialectique comme lui étant inutile ; mais loin d’être étrangère à la rhétorique, elle a cela de commun avec elle, qu’elle peint les mœurs et les passions : or, c’est là le but auquel aspirent les rhéteurs. Elle a encore beaucoup d’affinité avec la peinture et la sculpture, dont elle paraît imiter les heureuses proportions, et à cet égard elle ne le cède en rien à Phidias et à Apollon.

[36] Le premier devoir d’un danseur est de se rendre propice Mnémosyne et Polymnie, sa fille, et de faire ses efforts pour se souvenir de tout ; tel que le Calchas d’Homère[3], il faut que sa pensée

        Embrasse le présent, le passé, l’avenir ;

il faut, en un mot, que rien ne lui échappe, mais que sa mémoire le serve à son gré. Le but principal de la danse est d’imiter, d’énoncer, de produire au dehors les pensées et d’énoncer clairement ce qui est obscur. Et ce que Thucydide loue dans Périclès[4]
  1. Voy. Pollux, Onomasticon, IV, 14, et Plutarque, Vie de Thésée, traduction d’A. Pierron, t. I, p. 21.
  2. Livre VIII.
  3. Iliade, I, v. 71.
  4. Thucydide, livre II, chap. lx.