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DE LA DANSE.

sont là les deux éléments essentiels de l’art de danser : un chant suave et une danse irréprochable ; et c’est précisément à celle-ci que viennent s’adresser aujourd’hui tes reproches. Dans une autre partie de ses poëmes il dit[1] :

Jupiter donne à l’un la vaillance guerrière,
L’art de danser à l’autre et le chant qui sait plaire.

Rien, en effet, n’est plus capable de plaire que le chant uni à la danse : c’est le plus beau présent des dieux. Homère semble avoir voulu diviser en deux classes toutes les actions des hommes : la guerre et la paix, et n’opposer au courage guerrier que ces deux talents, comme ce qu’il y a de plus beau.

[24] Hésiode ne l’avait point appris d’un autre, mais il avait vu lui-même les Muses danser au lever de l’aurore ; et le principal éloge qu’il leur donne au début de son poëme[2], c’est que leurs pieds délicats foulent en cadence les bords de la fontaine aux eaux violettes, et qu’elles dansent en chœur autour de l’autel de leur père. Tu vois par là, mon cher, que tu es presque en lutte avec les dieux, en disant du mal de la danse.

[25] Socrate, le plus sage des hommes s’il faut en croire le témoignage d’Apollon Pythien[3], non content de louer la danse, voulut encore l’apprendre. Il faisait le plus grand cas du rhythme, de l’harmonie, de la précision des mouvements, de la bonne attitude du danseur, et il ne rougissait pas, tout vieux qu’il était, de mettre cet art au rang des sciences qui méritent le plus d’être étudiées. Il devait être, en effet, très envieux de la danse, lui qui s’empressait d’apprendre des choses de médiocre importance, qui fréquentait les écoles des joueuses de flûte, et ne dédaignait pas d’aller s’instruire chez la courtisane Aspasie[4]. Cependant Socrate ne vit la danse que lorsqu’elle commençait à naître ; jamais il n’a connu cette beauté qu’elle a acquise depuis. S’il voyait à présent ceux qui l’ont amenée à sa perfection, je suis sûr qu’il abandonnerait tout le reste pour ne s’adonner qu’à ce spectacle, et voudrait qu’on enseignât la danse aux enfants avant toute autre chose.

[26] Il me semble que, dans l’éloge que tu as fait de la tragédie et de la comédie, tu as oublié de dire que chacune d’elles a un genre de danse particulier. Ainsi l’Emmélie se danse dans la tragédie, et le Cordax dans la comédie, qui reçoit aussi le troi-

  1. Odyssée, I, v. 421.
  2. La Théogonie.
  3. Voy. Apologie de Socrate, chap. V.
  4. Voy. le Banquet de Xénophon.