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DE LA DANSE.

que, en instituant les mystères, ont ordonné, comme une des choses les plus belles, que l’initiation eût lieu avec le rhythme et la danse. C’est ainsi que cela se pratique ; mais il ne faut pas révéler ces secrets aux profanes. Cependant tout le monde sait qu’on dit communément de ceux qui en parlent en public, qu’ils dansent hors du chœur sacré.

[16] À Délos, on ne faisait point de sacrifices sans danser : tous se célébraient avec de la danse et de la musique. Des jeunes gens se réunissaient en chœur : les uns dansaient ensemble au son de la flûte et de la cithare, et les plus habiles, séparés des autres, dansaient seuls aux chansons. Or, les chansons écrites pour ces sortes de ballets se nommaient hyporchèmes, c’est-à-dire danse aux chansons, poésie dont sont remplis les poètes lyriques[1].

[17] Mais pourquoi te parler des Grecs, lorsque les Indiens, à leur lever, adorent le soleil, non pas comme nous, en se baisant la main, adoration que nous croyons la meilleure, mais, se tenant tournés vers l’orient, ils saluent le soleil en dansant, avec un respectueux silence, et en imitant l’ascension du dieu ? Telle est la prière des Indiens, tels sont leurs chœurs et leurs sacrifices ; c’est ainsi que, deux fois par jour, ils invoquent la protection du dieu, à son lever et à son coucher.

[18] Les Éthiopiens, quand ils vont en guerre, se livrent aussi à la danse. Aucun d’eux ne lancerait une flèche, après l’avoir tirée de sa tête, qui lui sert de carquois, et autour de laquelle il attache ses traits en forme de rayons, sans avoir auparavant dansé en prenant une attitude terrible et cherché à effrayer son ennemi par la danse.

[19] Mais puisque nous avons parlé de l’Inde et de l’Éthiopie, il me paraît à propos de faire aussi une descente dans l’Égypte, leur voisine. L’ancienne fable du Protée égyptien[2] ne me paraît pas autre chose que l’emblème d’un danseur habile dans la pantomime, qui avait l’art de s’assimiler à tout et de prendre ainsi toutes sortes de formes ; en sorte que, par la rapidité de ses mouvements, il imitait la fluidité de l’eau, la vivacité de la flamme, la férocité d’un lion, la colère d’un léopard, l’agitation d’un astre, en un mot, tout ce qu’il voulait. Mais la Fable, qui n’admet que des faits merveilleux, répandit qu’il était effectivement ce qu’il ne faisait qu’imiter. Nos danseurs font encore la

  1. Voy. Platon, Ion, chap. v, et la traduction de Pindare de M. C. Poyard, p. 238.
  2. Homère, Odyssée. IV, v. 4-17, et Virgile, Géorgiques, IV. J. B. Rousseau, Ode au comte du Luc Voy. aussi le beau groupe du sculpteur flamand Slodlz, dans le parc de Versailles.