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DE LA DANSE.

seur ; et il était si connu, si populaire à cause de son talent, que sa réputation ne se bornait pas seulement au camp des Grecs, elle s’étendait jusque chez les Troyens, quoique ses ennemis. Ils voyaient, en effet, je pense, la légèreté dans les combats et la souplesse qu’il avait acquise en dansant. Voici ce que dit le poète[1] :

        Mérion, quel que soit ton talent pour la danse,
        Ce fer t’arrêtera…

Cependant il ne l’arrêta pas ; son habileté dans l’art de sauter lui permit, je crois, d’éviter aisément les traits lancés contre lui.

[9] Je pourrais encore te citer beaucoup d’autres héros qui se sont plu à cet exercice, et qui l’ont regardé comme un art ; qu’il me suffise de mentionner Néoptolème, fils d’Achille, qui s’illustra par la danse et y ajouta ce beau genre qui, de son nom, est appelé pyrrhique[2]. Je suis persuadé qu’Achille, en apprenant ce talent de son fils, fut plus charmé que de sa beauté même et de sa force. Ce fut, en effet, cette habileté dans la danse qui prit Troie jusqu’alors imprenable, et la renversa de fond en comble.

[10] Les Lacédémoniens, qui passent pour les plus vaillants des Grecs, ayant appris de Castor et de Pollux la caryatique, espèce de danse que l’on enseigne à Carye, ville de la Laconie, ne font rien sans l’assistance des muses, à ce point qu’ils vont à la guerre au son de la flûte, et qu’ils marchent d’un pas réglé. Chez eux, c’est la flûte qui donne le premier signal du combat, et voilà pourquoi ils ont toujours été vainqueurs, conduits par la musique et par le rhythme. Tu peux voir encore, de nos jours, que leurs jeunes gens n’apprennent pas moins à danser qu’à faire des armes. Lorsqu’ils ont fini de lutter avec les poignets et de se frapper à tour de rôle les uns les autres, le combat se termine par une danse : un joueur de flûte s’assied au milieu, soufflant et marquant la mesure avec son pied ; puis les jeunes gens, le suivant par bandes, prennent, en marchant en cadence, toutes sortes d’attitudes, les unes guerrières, les autres dansantes et chères à Bacchus et à Vénus.

[11] Aussi la chanson qu’ils chantent en dansant est une invitation à Vénus et aux Amours de venir s’ébattre et danser avec eux ; et l’une de ces deux chansons, car il y en a deux,

  1. Iliade, XVI, v, 617.
  2. Cf. Athénée, livre XIV, p. 629 ; Apulée, Métam., p. 297 de l’édition Nisard. Néoptolème se nommait aussi Pyrrhus.