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la terre : nous entrons au port et nous débarquons, laissant sur le navire Scintharus et deux de nos compagnons. Nous marchions à travers une prairie émaillée de fleurs, lorsque nous rencontrons des sentinelles et des garde-côtes. Ils nous enchaînent avec des guirlandes de roses (ils n’ont pas de liens plus forts), et nous conduisent au chef du pays. Dans le chemin, ils nous apprennent que nous sommes dans l’île des Bienheureux, gouvernée par le Crétois Rhadamanthe. On nous amène à son tribunal, et l’appel de notre cause est fixé au quatrième tour.

7. La première qui fut jugée avant la nôtre était celle d’Ajax, fils de Télamon. Il s’agissait de savoir s’il serait admis ou non parmi les héros. On l’accusait de s’être donné la mort dans un accès de fureur. Après un long débat, Rhadamanthe décida qu’on lui ferait boire de l’ellébore, qu’on le mettrait entre les mains du médecin Hippocrate de Gos, et que, quand il aurait recouvré la raison, on l’admettrait au banquet.

8. La seconde cause était une question d’amour : Thésée et Ménélas se disputaient au sujet d’Hélène ; chacun d’eux voulait la posséder. Rhadamanthe l’adjugea à Ménélas, à cause de tous les travaux et de tous les dangers auxquels l’avait exposé son mariage : d’ailleurs Thésée ne manquait pas de femmes, l’Amazone et les filles de Minos.

9. La troisième était une affaire de préséance, entre Alexandre, fils de Philippe, et le Carthaginois Annibal : le pas fut accordé au roi de Macédoine, et on lui éleva un trône auprès de Cyrus l’Ancien, roi de Perse.

10. Notre tour vient alors. Le juge nous demande pourquoi, vivants, nous sommes entrés dans cette région sacrée. Nous lui racontons nos aventures sans en rien omettre : il nous fait tenir à l’écart, délibère pendant longtemps, et prend l’avis des autres juges ; il avait, en effet, plusieurs assesseurs, entre autres Aristide le Juste d’Athènes. Enfin, il prononce un arrêt d’après lequel nous subirions, après notre mort, la peine de notre curiosité et de notre voyage, mais que, pour le moment, nous aurions le droit de demeurer dans l’île, de prendre part au festin des héros, et puis de partir. Il fixa en même temps à sept mois juste la durée de notre séjour.

11. Aussitôt, les guirlandes qui nous enchaînaient tombent d’elles-mêmes : libres, nous sommes conduits dans l’intérieur de la ville, au banquet des bienheureux. Cette ville est toute