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l’ancre le sixième, avec une jolie brise et une mer tranquille. Le huitième jour, quand nous n’étions plus déjà dans des flots de lait, mais au milieu d’une eau saumâtre et azurée, nous apercevons un grand nombre d’hommes qui couraient sur les vagues : ils nous ressemblaient en tout, et par le corps et par la taille ; il n’y avait de différence que dans leurs pieds qui étaient de liège, d’où probablement leur nom de Phellopodes. Nous sommes fort étonnés de voir qu’au lieu d’enfoncer, ils se soutiennent sur l’eau et voyagent sans crainte. Quelques-uns nous abordent, nous saluent en grec, et nous disent qu’ils vont à Phello, leur patrie. Ils nous accompagnent même quelque temps, en glissant le long de notre navire ; mais ensuite ils changent de route et nous quittent, en nous souhaitant un heureux voyage. Bientôt nous découvrons plusieurs îles, et près de nous, à gauche, cette Phello, vers laquelle se hâtaient d’arriver nos voyageurs. C’est une ville bâtie sur un grand et rond morceau de liège. De loin et un peu plus sur la droite, nous apercevons cinq autres villes, très grandes et très élevées, d’où sortait un feu continuel.

5. Vers la proue, il y en avait une large, à fleur d’eau, à la distance de moins de cinq cents stades. Nous nous en approchons, et aussitôt une odeur extraordinaire, suave, parfumée, arrive jusqu’à nous ; on eût dit la senteur que l’historien Hérodote prétend exhalée par l’Arabie Heureus : c’était un mélange de rose, de narcisse, d’hyacinthe, de lis, de violette, de myrrh, de laurier, de fleur de vigne, qui venait caresser notre odorat. Ravis de ce doux parfum, nous espérons enfin le bonheur après tant de fatigues, et nous nous avançons vers l’île. En approchant, nous voyons de tous côtés des ports nombreux, vastes et sûrs, et des fleuves limpides descendant tranquillement vers la mer ; puis des prés, des forêts, des oiseaux mélodieux, chantant les uns près du rivage, une foule d’autres sur les rameaux : un air pur et léger environnait toute la contrée ; le souffle agréable des zéphyrs agitait doucement le feuillage, et en tirait des sons délicieux et prolongés, semblables à ceux d’une flûte oblique au milieu d’une solitude. À cette musique se mêlait le bruit de plusieurs voix, mais sans confusion, comme celui qu’on entend dans les festins, lorsqu’aux accords de la cithare et de la flûte se mêlent les louanges et les applaudissements des convives.

6. Enchantés de tous ces objets, nous nous dirigeons vers