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HISTOIRE VÉRITABLE.

pliquent à lire des œuvres qui ne les charment pas uniquement par un tour spirituel et une agréable simplicité, mais où l’on trouve la science jointe à l’imagination, comme on les rencontrera, je l’espère, dans ce livre. En effet, ce n’est pas seulement par la singularité du sujet ni par l’agrément de l’idée qu’il devra plaire, ni même parce que nous y avons répandu des fictions sous une apparence de probabilité et de vraisemblance ; mais parce que chaque trait de l’histoire fait allusion d’une manière comique à quelques-uns des anciens poëtes, historiens ou philosophes, qui ont écrit des récits extraordinaires et fabuleux. J’aurais pu vous citer leurs noms, si vous ne deviez pas facilement les reconnaître à la lecture.

3. Ctésias de Cnide, fils de Ctésiochus, a écrit sur les Indiens et sur leur pays des choses qu’il n’a ni vues ni entendues de la bouche de personne[1]. Jambule a raconté des faits incroyables sur tout ce qui se rencontre dans l’Océan[2] ; il est évident pour tous que cette œuvre n’est qu’une fiction, c’est cependant une composition qui ne manque pas de charmes. Beaucoup d’autres encore ont choisi de semblables sujets : ils racontent, comme des faits personnels, soit des aventures, soit des voyages, où ils font la description d’animaux énormes, d’hommes pleins de cruauté ou vivant d’une façon étrange. L’auteur et le maître de toutes ces impertinences est l’Ulysse d’Homère, qui raconte chez Alcinoüs l’histoire de l’esclavage des vents, d’hommes qui n’ont qu’un œil, qui vivent de chair crue, et dont les mœurs sont tout à fait sauvages ; puis viennent les monstres à plusieurs têtes, la métamorphose des compagnons d’Ulysse opérée au moyen de certains philtres, et mille autres merveilles qu’il débite aux bons Phéaciens[3].

4. Pourtant, quand j’ai lu ces différents auteurs, je ne leur ai pas fait un trop grand crime de leurs mensonges, surtout en voyant que c’était une habitude familière même à ceux qui font profession de philosophie ; et ce qui m’a toujours étonné, c’est qu’ils se soient imaginé qu’en écrivant des fictions, la fausseté de leurs récits échapperait aux lecteurs. Moi-même, cependant, entraîné par le désir de laisser un nom à la postérité, et ne

  1. Voy. les Fragments de Ctésias, dans l’édition d’Hérodote de Didot, p. 79 et suivantes, cf. Vossius, Historiens gr., édition Westermann, p. 51 et suivantes ; Tzelzès, Chiliades, VII, 244, v. 644 ; Aulu-Gelle Nuits attiques, IX, iv.
  2. Sur Jambule, consultez Vossius, p, 457.
  3. Voy l’Odyssée, à partir du chant IX.