les doigts avec agilité et de les baisser à propos, de marcher en mesure, de me mettre d’accord avec le chœur, de conserver à chaque mode son mouvement caractéristique, au phrygien l’enthousiasme, au lydien la fureur bachique, au dorien la gravité majestueuse, et la grâce à l’ionien ; je te suis redevable de savoir tout cela[1]. Mais le point principal, celui pour lequel j’ai désiré devenir joueur de flûte, je ne vois point comment tu pourrais m’y faire atteindre : je veux parler de la gloire, de cette popularité qui me ferait montrer du doigt, et dire à tous ceux qui me verraient, partout où je pourrais aller : « C’est lui ! C’es. Harmonide, l’excellent joueur de flûte[2] ! » Tel est l’honneur, Timothée, que tu as jadis obtenu, lorsqu’à ton arrivée de Béotie tu jouas de la flûte dans la tragédie de la Pandionide[3], et que tu fus vainqueur dans celle d’Ajax furieux[4], dont ton homonyme avait fait la musique : il n’y eut dès lors personne qui ne connût le nom de Timothée le Thébain. Ici encore, et aujourd’hui même, quand tu parais, tous accourent vers toi, comme les oiseaux autour d’une chouette. Voilà pourquoi j’ai souhaité de devenir joueur de flûte, pourquoi je me suis imposé de si grands travaux : car ce talent n’est rien, s’il ne procure la célébrité, et je n’en voudrais pas, dussé-je égaler Marsyas ou Olympe[5], si je demeurais inconnu. À quoi bon, comme on dit, la musique secrète et cachée[6] ? Apprends-moi donc ce que j’ai à faire et comment je puis user de mon talent. Je t’en saurai doublement gré, et pour l’art que tu m’auras enseigné, et pour la gloire qu’il m’aura procurée. »
2. Timothée lui répondit : « Sache-le bien, Harmonide, ces objets dont tu es épris, les applaudissements, la gloire, la re-
- ↑ Sur la musique des Grecs, voy. de Pauw, t. II, p. 120 et suivantes. Pour les différents modes, voy. Apulée, Florid., livre I. « Il y a lieu de croire, dit Belin de Ballu, d’après les caractères de ces modes, indiqués par les anciens, que le mode dorien, grave et majestueux, répondait au ton de mi bémol, le plus majestueux des tons de la musique ; le ton de la majeur, par sa grâce et sa gaieté, pourrait être le même que le mode ionien. »
- ↑ voy. ci-dessus, p. 5, note 1.
- ↑ Probablement une tragédie dont les filles de Pandion, Philomèle et Progné, étaient les héroïnes.
- ↑ Pièce de Sophocle. Voy. la traduction de M. Artaud, et celle de Théodore Guiard.
- ↑ Voy. ces mots dans le Dictionnnaire de Jacobi.
- ↑ Néron répétait ce proverbe à ses amis, pour autoriser son apparition sur le théâtre. Voy. Suétone, Néron, p. 292 de la traduction d’Émile Pessoneaux, édition Charpentier.