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ZEUXIS OU ANTIOCHUS.

s’élanceront sur chacune des divisions de la cavalerie ennemie, et les huit autres sur les chars armés de faux ou traînés par deux chevaux. « Ce sera, disait-il, le moyen d’effrayer les chevaux des Galates, qui se jetteront, en fuyant, sur leur infanterie. » Ce fut ce qui arriva.

[10] Les Galates et leurs chevaux, n’ayant jamais vu d’éléphants, sont si épouvantés de ce spectacle inattendu, que, loin même de ces animaux, au seul bruit de leurs cris, à la vue de leurs défenses, dont la blancheur était relevée par la couleur noire de leur corps, à l’aspect de leurs trompes dressées et menaçant de saisir ce qu’ils pourraient rencontrer, ils lâchent pied avant qu’on en vienne à une portée de trait, et s’enfuient en désordre : les fantassins s’entre-percent de leurs lances, et sont foulés aux pieds des cavaliers, qui se ruent sur eux de toute leur vitesse ; les chars, retournés contre leur propre parti, ensanglantent leur passage, et, comme dit Homère[1],

        Ils tombent, et tombant roulent avec fracas.

Les chevaux, une fois lancés hors de leur route et ne pouvant tenir contre les éléphants, jettent à bas leurs conducteurs,

        Traînent par les sentiers le char vide et sonore[2],

coupent et déchirent avec les faux ceux mêmes de leurs amis qui sont renversés : or, combien n’y en avait-il pas de gisants au milieu de cet affreux tumulte ! Cependant les éléphants poursuivent leur course, écrasant sous leurs pas, lançant en l’air avec leurs trompes, et perçant de leurs défenses tout ce qu’ils rencontrent ; en un mot, ils font remporter à Antiochus une victoire complète.

[11] La plupart des Galates périssent dans un immense carnage ; quelques-uns sont faits prisonniers ; le reste, en petit nombre, se sauve à travers les montagnes. Tous les Macédoniens, qui servaient sous Antiochus, chantaient le péan de triomphe ; ils entouraient le roi, en jetant de grands cris et en lui présentant des couronnes ; mais lui, les larmes aux yeux, dit-on : « Rougissons, soldats, s’écria-t-il, de devoir notre salut à seize éléphants. Si l’étrangeté de cette vue n’avait frappé de terreur nos ennemis, que serions-nous devenus contre eux ? » Il ordonna même que sur le trophée l’on ne gravât que la figure d’un éléphant.

  1. Homère, Iliade, XVI, v. 379.
  2. Id., ibid., XI, v. 160.