un peintre. La vive admiration dont m’a frappé alors ce chef-d’œuvre m’en facilitera beaucoup maintenant la description.
[4] Sur un épais gazon est représentée la centauresse : la partie chevaline de son corps est couchée à terre, les pieds de derrière étendus ; sa partie supérieure, qui est toute féminine, est appuyée sur le coude ; ses pieds de devant ne sont point allongés comme ceux d’un animal qui repose sur le flanc, mais l’une de ses jambes, imitant le mouvement de cambrure d’une personne qui s’agenouille, a le sabot recourbé ; l’autre se dresse et s’accroche à la terre, comme font les chevaux quand ils essayent de se relever. Elle tient entre ses bras un de ses deux petits et lui donne à téter, comme une femme, en lui présentant la mamelle ; l’autre tète sa mère à la manière des poulains. Vers le haut du tableau, est placé, comme en sentinelle, un hippocentaure, époux, sans nul doute, de celle qui allaite les deux petits : il se penche en souriant. On ne le voit pas tout entier, mais seulement à mi-corps. De la main droite, il tient un lionceau qu’il élève au-dessus de sa tête, et semble s’amuser à faire peur aux deux enfants.
[5] Toutes les autres beautés de ce tableau, qui échappent en partie à l’œil d’un ignorant tel que moi, bien qu’elles réalisent la perfection de la peinture, je veux dire la correction exquise du dessin, l’heureuse combinaison des couleurs, les effets de saillie et d’ombre ménagés avec art, le rapport exact des parties avec l’ensemble, l’harmonie générale, je les laisse à louer aux fils des peintres, qui ont mission de les comprendre. Pour moi, j’ai surtout loué Zeuxis pour avoir déployé dans un seul sujet les trésors variés de son génie, en donnant au centaure un air terrible et sauvage, une crinière jetée avec fierté, un corps hérissé de poils, non seulement dans la partie chevaline, mais dans celle qui est humaine. À ses larges épaules, à son regard tout à la fois riant et farouche, on reconnaît un être sauvage, nourri dans les montagnes, et qu’on ne saurait apprivoiser.
[6] Tel est le centaure. La femelle ressemble à ces superbes cavales de Thessalie, qui n’ont point encore été domptées et qui n’ont pas fléchi sous l’écuyer. Sa moitié supérieure est d’une belle femme, à l’exception des oreilles qui se terminent en pointe comme celles des Satyres : mais le mélange, la fusion des deux natures, à ce point délicat où celle du cheval se perd dans celle de la femme, est ménagée par une transition si habile, par une transformation si fine, qu’elle échappe à l’œil et qu’on ne saurait y voir d’intersection. Quant aux deux petits, on remarque dans leur physionomie, malgré leur tout jeune âge, je