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LA TRAVERSÉE OU LE TYRAN.

colère, mais je ne pus me venger de lui, cadavre déjà glacé. Quant à la perfide donzelle, sitôt qu’elle entend le bruit de ceux qui survenaient, elle se frotte les yeux avec de la salive, pour faire croire qu’elle pleure ma perte, pousse des sanglots et s’éloigne en prononçant mon nom. Oh ! si je les tenais…

[13] Clotho. Cesse tes menaces et monte dans la barque. Il est temps de te rendre au tribunal.

Mégapenthès. Qui donc osera voter contre un tyran ?

Clotho. Contre un tyran personne, mais contre un mort, Rhadamanthe. Tu verras tout à l’heure sa justice, et tu l’entendras prononcer d’équitables arrêts. Allons, plus de délais !

Mégapenthès. Fais-moi simple particulier, Parque, pauvre ou même esclave au lieu de roi ; mais laisse-moi revivre !

Clotho. Où est l’homme au bâton ? Et toi, Mercure, tirez-le tous deux par les pieds jusqu’ici ; car il ne montera jamais de lui-même.

Mercure. Suis-nous, fuyard. Tiens-le bien, Charon, et, ma foi, pour plus de sûreté…

Charon. C’est juste ; attachons-le au mât.

Mégapenthès. Je dois du moins m’asseoir à la place d’honneur.

Clotho. Pourquoi ?

Mégapenthès. Par Jupiter ! parce que j’étais tyran, escorté de dix mille doryphores.

Cyniscus. Ma foi, Carion n’avait pas tort de t’arracher la barbe, pauvre fou ! Je te rendrai la tyrannie amère, en te faisant goûter du bâton.

Mégapenthès. Quoi donc ? un Cyniscus osera lever le bâton sur moi ? N’est-ce pas moi qui, l’autre jour, pour ton excès de liberté, de hardiesse et d’impudence, ai failli te faire clouer ?

Clotho. Eh bien ! tu seras toi-même cloué au mât.

[14] Micylle. Dis-moi donc, Clotho ; et de moi pas un mot[1] ? Est-ce parce que je suis pauvre, qu’il me faut monter le dernier ?

Clotho. Qui es-tu ?

Micylle. Le savetier Micylle.

Clotho. Tu es si fâché pour un peu de retard ? Ne vois-tu pas quelles promesses nous fait ce tyran, pour obtenir quelque répit ? Je suis étonnée que tu prises si peu le délai qu’on t’accorde.

Micylle. Écoute-moi, excellente Parque. Je ne suis que mé-

  1. Expression que répète souvent Xanthias, dans les Grenouilles d’Aristophane.