du Philopatris, dialogue dont l’authenticité est fort douteuse, qu’il parle des chrétiens dans son Alexandre, qu’il les loue et les blâme tour à tour dans son Pérégrinus ; mais ce qu’il en dit prouve qu’il les confond avec les Juifs, ou qu’il n’a qu’une connaissance très-imparfaite de leurs pratiques et de leurs croyances : si bien que cette question d’apostasie reste au moins équivoque, si elle n’est complètement reléguée parmi les faits controuvés.
Ce qui cesse d’être contestable, c’est la sagacité de Lucien, la pénétration de son coup d’œil, la vivacité de sa dialectique, la justesse merveilleuse de son esprit comme satirique et comme moraliste ; qualités brillantes et solides sur lesquelles se fondent ses titres les plus légitimes à l’admiration sans cesse renouvelée de la postérité. En effet, il y a telle de ses satires qu’on croirait écrite d’hier, et les modèles qu’il s’est choisis vivent réellement sous nos yeux.
Tous les âges lui appartiennent par ce droit de conquête que le bon sens, servi par les dons de l’esprit, s’arroge avec justice sur l’orgueil et sur la sottise ; apanage éternel, empire sans bornes et sans fin. Mais, pour ne pas sortir du siècle où Lucien a vécu, tous les hommes sont égaux devant l’inflexible rigueur de la loi morale, au nom de laquelle il attaque les vices, fronde les abus, renverse les préjugés de son temps. Morgue des parvenus, vanité des souverains, calculs misérables ou hypocrites des besoigneux et des flatteurs, passion sordide des avares, turpitudes des débauchés, prétentions pédantesques des faux érudits, manèges des courtisanes, il flagelle tout de sa lanière sanglante, et il marque ses victimes, pour employer une de ses expressions, d’un fer chaud, dont l’empreinte est un renard ou un singe[1]. Nulle part il ne déploie autant d’énergie native et de verve originale. Le cadre même qu’il adopte pour donner aux hommes d’utile et durables leçons est une création qui lui appartient en propre. Il y sait unir, suivant la remarque d’un critique judicieux[2], quelque chose du génie de Platon