sinier, et, ma foi ! le seul savetier, le seul charpentier, et ainsi pour tout le reste.
Mercure. Mais oui.
[21] Le marchand. Viens ici, mon brave, et me dis, comme à ton acquéreur, qui tu es, en commençant par m’avouer si tu es fâché ou non d’être mis en vente et de servir.
Chrysippe. Pas du tout : cela ne dépend pas de nous, et ce qui ne dépend pas de nous est indifférent[1].
Le marchand. Je ne te comprends pas.
Chrysippe. Comment ? Tu ne sais pas qu’il y a des choses proposées et des choses rejetées[2] ?
Le marchand. Je n’en ai jamais entendu parler.
Chrysippe. Cela n’est pas étonnant, tu n’es pas accoutumé à nos termes, et tu n’as pas l’imagination compréhensive. Mais celui qui a étudié avec attention la théorie du raisonnement, ne sait pas seulement ces choses-là ; il connaît l’accident et le suraccident, avec toutes leurs différences.
Le marchand. Au nom de la Sagesse, fais-moi le plaisir de m’expliquer ce que c’est que l’accident et le suraccident : car, je ne sais comment, j’ai été frappé de la douce harmonie de ces expressions.
Chrysippe. Très-volontiers. Lorsqu’un homme est boiteux, et qu’en heurtant son pied boiteux contre une pierre, il vient à se blesser, l’infirmité qui le fait boiter est l’accident, et la blessure le suraccident.
[22] Le marchand. Ô la finesse ! Qu’est-ce que tu connais encore à fond ?
Chrysippe. Les filets du langage, dans lesquels je prends mes interlocuteurs : je leur clos la bouche, je leur mets un bâillon, et je les réduis au silence : et le nom de cette invention puissante, c’est le fameux syllogisme.
Le marchand. Par Hercule ! Voilà une arme terrible et violente !
Chrysippe. Tu vas en juger. As-tu un fils ?
Le marchand. Pourquoi cela ?
Chrysippe. Supposons qu’un crocodile l’ait enlevé, lorsqu’il errait sur le bord d’un fleuve, et qu’ensuite il t’ait promis de te le rendre, à condition que tu lui dirais au juste s’il est dans l’intention de te le rendre ou non ; quelle est, à ton avis, la résolution du crocodile ?