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DIALOGUES DES DIEUX.

Apollon. Demande à Neptune, dont il a volé le trident, ou à Mars, dont j] a tiré secrètement l’épée hors du fourreau, sans parler de moi, qu’il a désarmé de mon arc et de mes flèches.

[2] Vulcain C’est le nouveau-né qui a fait tout cela, lui qui pouvait à peine se remuer dans ses langes ?

Apollon. Tu le sauras, Vulcain, pour peu qu’il s’approche de toi.

Vulcain Il s’en est déjà approché.

Apollon. Eh bien ! as-tu tous tes outils ? N’en as-tu point perdu’/

Vulcain Je les ai tous, Apollon.

Apollon. Malgré cela regarde bien.

Vulcain Par Jupiter ! je ne vois pas mes tenailles !

Apollon. Va, tu les trouveras dans les langes du nouveau-né.

Vulcain Comme il a la main preste 1 Il s’est donc exercé à voler dans le ventre de sa mère ?

[3] Apollon. Mais tu ne l’as pas entendu parler : c’est un caquet, un flux de paroles ! Et puis, il veut déjà nous servir. Hier, il a défié l’Amour à la lutte, et l’a renversé sur-le-champ en lui donnant je ne sais quel croc-en-jambe : et pendant qu’on le félicitait, il a volé la ceinture de Vénus, qui l’embrassait à cause de sa victoire, ainsi que le sceptre de Jupiter, qui éclatait de rire ; enfin si la foudre n’avait pas été trop lourde et trop brûlante, il l’aurait aussi emportée.

Vulcain Tu nous parles d’un enfant bien alerte !

Apollon. Ce n’est pas tout ; il est encore musicien.

Vulcain Et comment peux-tu en juger ?

[4] Apollon. Il a trouvé quelque part une tortue morte, et il en a fabriqué un instrument, en y adaptant un manche, une traverse, plusieurs chevilles qu’il y a fixées, et une table au-dessus de laquelle il a placé sept cordes : avec cela, Vulcain, il fait entendre des sons agréables et harmonieux, au point de me rendre jaloux, moi depuis longtemps exercé à jouer de la cithare. Maia disait encore qu’il ne reste pas la nuit dans le ciel, mais qu’entraîné par la curiosité il descend aux enfers, pour y voler sans doute ; en effet il a des ailes, et il s’est fait une baguette d’une vertu merveilleuse, à l’aide de laquelle il conduit les âmes et fait descendre les morts.

Vulcain. C’est moi qui la lui ai donnée pour s’amuser.

Apollon. Et, pour te remercier, il t’a volé tes tenailles.

Vulcain. Tu as bien fait de me le rappeler, et je vais aller les reprendre, si toutefois, comme tu ais, je les retrouve dans ses langes.