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El Arab

de l’un à l’autre en s’écriant : « Ya kouffr méta’ el béhaïm ! » (Ô la mécréance des animaux !)

… Je devais plus tard faire la connaissance des ânes égyptiens, tout aussi fantaisistes que ceux-ci, mais sur le mode joyeux, car ils ne sont pas maltraités.

Ultime vision au pays Kroumir.

Sous un ciel de plein été, tumultueux, sanglant et rapide, une vieille Bédouine, à l’heure du couchant, s’avance à grands pas, et, véritable solfège, accompagne de son bâton frappant le sol la déclamation enrouée, sanglotante, qui ravage sa pauvre poitrine. Droit devant elle, seule au monde, environnée du tourbillon de ses voiles au vent, elle va sans rien regarder, toute à cette vocifération tragique où s’exprime, disciplinée par le rythme, son inconsolable douleur.

Quoi donc ?

Le village nous renseigne. Le misérable peu que possédait la vieille Bédouine vient d’être saisi par l’huissier français de la région, et c’est, ayant suivi son bien jusqu’aux limites du possible, vers son gourbi vidé qu’elle retourne, sous la tempête et dans le crépuscule qui, dans un instant, ne sera plus que de la nuit.

Dès le mois d’août nous quittions encore une fois la Kroumirie, allant voir Alger que des amis tenaient à nous faire connaître.