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Encore la Kroumirie

l’auberge et dissimulée derrière l’appentis qui lui faisait face. Car, dans cet appentis où l’on rangeait du bois et des outils, je savais quel malin personnage venait de se cacher.

On ne se doute pas en Europe de quelle intelligence et plus encore de quelle ironie sont capables les petits ânes de l’Afrique du Nord. Celui-ci, qui faisait partie d’un troupeau de vingt, venait de passer avec les camarades, tous écrasés d’une trop lourde charge de bois et poussés à coups de bâton par l’Arabe qui les conduisait. En regardant distraitement à la fenêtre j’avais, tout à l’heure, remarqué la manœuvre à peine croyable du dernier de ces ânes. Laissant les autres continuer la route, il avait poussé du museau la porte entr’ouverte de l’appentis, s’était introduit, restait là comme un sale gosse qui joue un bon tour.

L’Arabe allait-il s’apercevoir qu’il lui manquait un âne ? C’était ce dont j’étais venue m’assurer avec l’espoir que le rebelle ne serait pas repris.

Je pouvais déjà me faire comprendre, mon vocabulaire arabe s’étant chaque jour enrichi depuis notre arrivée en Tunisie. Je dis à Salah, puisqu’il se trouvait là : « Il y a un âne dedans ! » Mais je n’avais pas plutôt parlé que l’idiot rappelait l’ânier à grands cris. Et je dus assister, désolée, à la bastonnade qui s’ensuivit pour mon protégé.


L’ironie des ânes barbaresques ! Une autre fois c’est l’ânier qui, tour à tour, charge chaque bête de sa troupe d’énormes bûches dont l’amas s’élève toujours plus haut. À peine a-t-il terminé sa tâche que sa vingtaine d’animaux, avec un ensemble qui ne peut pas ne pas avoir été concerté, se secoue d’un seul geste et jette à terre tout le chargement.

Une autre fois encore, une troupe similaire s’arrête soudain au milieu de la route, et (les Arabes ne peuvent pas souffrir le braiment des ânes) tout le monde à l’unanimité se met à braire, pendant que l’Arabe affolé court