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El Arab

musulmans tout à fait francisés en dépit de leurs drapés blancs et de leur turbans immaculés.

Nous nous mettons à table ; mais, malgré son couvert préparé, le chef marabout refuse obstinément de s’asseoir parmi nous. Il tourne autour de la pièce, parlant si fort et avec de tels gestes que je m’informe à mi-voix ; « Qu’est-ce qu’il a ?… Qu’est-ce qu’il dit ? » — car il me fait presque peur.

— Un affreux cabot, me répond tranquillement mon mari. Il dit que le jeûne est sa meilleure nourriture, qu’il n’a pas besoin de manger, car Allah est dans son ventre.

Pendant ce temps, le frère, complètement emberlificoté, tenait sa fourchette-à l’envers et aussi son couteau l’index tout au bout de la lame et se coupant le doigt.

Pour ne pas le gêner, je regarde autour de moi. Je m’aperçois alors que les fenêtres, bien que pourvues de vitres et de rideaux en fausse dentelle, ont été percées tellement haut que, même en montant sur une chaise, il serait impossible de les atteindre. Cette maison n’a pas été construite par des Roumis.


Cependant une longue conversation coranique s’était à présent engagée dont je ne pouvais rien saisir, et fatiguée, je sentais le sommeil sournois m’engourdir de plus en plus. Heureusement l’heure du coucher ne tarda pas trop. Mais, dans la chambre qu’on nous donnait, les draps de nos deux lits avaient été tellement imbibés d’eau de Cologne qu’ils en étaient encore trempés, odeur intenable qu’il fallut bien supporter, pourtant. Et pas moyen d’ouvrir ces fenêtres inaccessibles.

Le lendemain matin, nous fûmes invités à visiter l’école maraboutique. Elle consistait en sept ou huit idiots ou fous occupés à faire des grimaces, affalés dehors sur des bancs. Le plus saint de tous se tenait beaucoup plus loin, debout au milieu d’une mare, les cheveux poussés jusqu’à la taille, le corps dans l’eau jusqu’aux genoux, nu, sordide, à peine un être humain. On nous apprit qu’il n’avait jamais bougé de cette mare depuis