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L’Edough

Impossible, en outre, de nous faire comprendre, ces gens-là ne parlant ni le français ni l’arabe.

J’ai dit aussi dans mes Mémoires comment, au milieu d’un tel décor, je me souvins que c’était mon anniversaire de naissance. Mais je n’ai pas raconté cette chose à classer dans ce que j’appelle « aventures sans explication ». Redescendue seule dans la salle d’en bas, j’y fis soudain cette incompréhensible découverte : un piano droit Erard flambant neuf, richement pourvu d’éditions jamais ouvertes encore de Bach, Beethoven, Schumann, Chopin — de quoi pour mli passer une soirée enchantée, après tant de mois où je n’avais pu faire aucune musique.

Des deux ou trois nuits dormies au hasard des postes forestiers qui nous recueillaient de leur mieux, je ne garde qu’un néfaste souvenir de puces, punaises et autres bestioles. Il faut accepter tout quand on a choisi l’inexploré. Mais notre hébergement le plus inédit fut celui de l’école de Marabouts pour laquelle nous nous étions mis en route.

Nous arrivons avec la nuit dans ce creux de forêt où nos chevaux avancent sans aucun bruit sur des matelas de feuilles déjà pourries. Au lieu de la demeure cubique et blanche, bien arabe, à laquelle nous nous attendions, c’est une petite bicoque de banlieue parisienne qui nous apparaît dans le clair-obscur, murs en nougat et toit de tuiles rouges toutes neuves. Et, dès les premiers mots du chef marabout accouru pour nous recevoir, il est facile de deviner qu’il est excessivement fier d’avoir fait construire cette triste chose.

Officiellement prévenu de notre visite car c’est un personnage influent au point de vue français, il a commandé dîner et chambre, et ses serviteurs, ainsi que son frère, un solide gaillard comme lui-même, tous sont présents à notre entrée dans la maison. Salle à manger à l’européenne, couvert à l’européenne. Nous sommes chez des