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El Arab

Ce ne fut qu’au bout de quelques jours passés dans la ville de Bône, où nous nous étions rendus en hâte, qu’après diète complète et soins vigoureux, je commençai tout doucement à reprendre pied dans la vie, c’est-à-dire le voyage.

Satisfaite de faire la connaissance de l’Algérie, j’eus à m’émerveiller avant tout de ce cimetière musulman de Bône qui, tout blanc et tout bleu de faïences intactes, est un des plus ravissants que j’aie connus.

C’est là qu’est enterrée la mère d’Isabelle Eberhardt. J’ignorais en visitant sa tombe que nos nomadismes nous mèneraient un jour à celle de sa fille, cavalière héroïque restée célèbre dans tout le sud-saharien et que la France même est loin d’ignorer.

À travers les couches d’ouate d’une brume invétérée nous voici maintenant engagés dans l’Edough, montés sur de nouveaux chevaux dont la sellerie arabe déteint, rouge, en plein pelage blanc. Novembre commence. Il fait froid. Nos vastes capes de caoutchouc ne nous empêchent pas de frissonner.

Il s’agit pour nous d’atteindre avant la nuit complète je ne sais quel village dont le nom français est pour moi perdu dans l’oubli.

Mais, qui ne s’y est pas perdu, c’est le souvenir de l’auberge où nous arrivâmes enfin, juste comme le soleil venait de se coucher.

Le mot « coupe-gorge » que j’ai employé dans mes Mémoires n’est pas trop fort pour dépeindre un lieu pareil.

Terre battue, chandelles, recoins sombres, meubles boiteux, lits suspects sous lesquels on avait envie de regarder, surtout la mine sinistre du couple qui nous reçut, ménage espagnol à la Zuloaga, rien n’y manquait.