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L’Edough

Je n’oublierai jamais un seul détail de notre voyage entre Aïn-Draham et Tabarka. Dans la diligence qui nous emmenait et qui n’avait plus que trois chevaux, le quatrième venant, en pleine route, de mourir de misère sous son harnais, nous avions en face de nous un prêtre, noire soutane et bréviaire attentivement lu. Nous sortions peine de table, et, de l’affreuse gibelotte qui composait ce dernier déjeuner, moi seule j’avais mangé, non sans hésiter à chaque bouchée, tant me semblait inquiétant le goût de ce lapin-là.

Il n’y avait pas deux heures que nous étions en route, des douleurs intolérables me prirent. Le fait est que j’étais tout simplement empoisonnée.

Du paysage nouveau que nous traversions, je puis avouer que je ne vis absolument rien. Courbée en deux et gémissante aux côtés de mon compagnon désolé, je savais que, d’une part, la diligence ne pouvait pas rebrousser chemin puisqu’elle était courrier postal, donc astreinte à une exactitude féroce, et, d’autre part, que descendre où nous étions voulait dire pour nous rester tous deux abandonnés en pleine forêt, loin de toute habitation, avec nos mallettes et valises à nos pieds.

En proie à ma longue torture cahotée, je ne pus même pas m’intéresser à l’aventure qui tout à coup nous advint au bas de cette côte pourtant si peu rude : les trois haridelles, d’un commun accord, s’arrêtant net et refusant absolument de faire un pas de plus.

Vociférations et coups de fouet n’y changèrent rien.