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El Arab

larmes d’eau de Cologne, une once de crème de toilette, le tout soigneusement introduit dans un petit flacon plein d’eau. Cette pharmacie gratuite était reçue avec bonheur.

Un après-midi de pluie où tous deux, chacun à sa table, nous écrivions, un nouveau coup dans la porte vint nous déranger. Le cadi lui-même entra, multiplia saluts, souhaits et compliments en évitant par bienséance de me regarder, et, sur un signe, finit par s’asseoir pendant que nous reprenions nos places devant nos tables.

Le silence s’étant établi : « Nous pouvons continuer à travailler, me dit mon mari. Ça ne le formalisera pas du tout. » Et il se remit aussitôt à écrire. Je me décidai malgré ma gêne à l’imiter. Bientôt il me fallut me rendre compte que le cadi, lui, trouvait la chose toute naturelle.

Une heure passa. De temps en temps, mû par un déclic, notre visiteur se soulevait de sa chaise, portait sa main à son cœur et à son front et murmurait des « louange à Allah ! » ou autres clichés islamiques. À chaque fois nous nous soulevions comme lui, mon mari répondait ; puis le silence reprenait, égratigné par le bruit de nos plumes.

Cette visite-là dura trois heures. Au bout de ce temps le cadi se leva pour de bon, nous de même, et ce fut enfin le départ, dans un flot renouvelé de formules, vœux et félicitations.

La porte refermée, je commençais à rire quand quelques nouveaux coups frappés m’arrêtèrent. J. C. M. va ouvrir. C’est encore le cadi. Il n’entre pas. Je n’ai su qu’ensuite ce qu’il chuchotait.

— Ya saïed el toubib, j’ai oublié de te dire une chose. (Il paraît qu’il n’a fait sa visite de trois heures que pour ce post-scriptum.) Voilà ! La fille de l’oncle (sa femme) n’est pas satisfaite de moi la nuit. Je ne suis plus assez jeune pour elle, et je ne puis être le maître que deux ou trois fois, alors qu’il en faudrait six ou sept. Peux-tu me donner le remède qui convient contre ce ventre froid ?