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El Arab

des feuilles sèches. Trois ou quatre vieilles, accroupies autour de lui, le veillaient, la main droite levée et pointant l’index vers le ciel, ce qui est la manière de prier des musulmans. Le milieu du tableau se composait ainsi : un trou dans le sol, quelques tisons brûlant dans ce trou. Tout autour, endormis, quatre chevreaux noirs, sans doute la fortune de la famille. Malgré la catastrophe leur sommeil avait été respecté.

Cependant, à courte distance, on entendait monter un hurlement rauque et continu, sauvage comme un cri de bête et scandé comme un poème. Et, cela, c’était le chagrin de la mère, dans le gourbi presque mitoyen.

J. C. Mardrus me dit qu’il fallait y entrer seule. D’après la voix de contralto qui se plaignait de la sorte, je m’attendais à quelqu’une de ces maigres femelles déjà finies avant trente ans, dont le visage meurtri, perdu dans les drapés et les bimbelotteries, est d’un pathétique si saisissant. Je ne vis, complètement seule sous cette seconde tente, qu’une fille d’environ quinze ans, toute menue dans ses tuniques, ses bracelets et ses bandelettes, et qui, reculée, recroquevillée, tenant le moins de place possible, tirait son appel de louve d’une bouche d’enfant, ouverte jusqu’à la gorge et montrant des dents admirables. Sur ses joues de cuivre roulaient et rebondissaient les larmes. Son cri, — une longue et deux brèves suivies de quatre syllabes précipitées — répétait en rythme et en mesure, déchirante et toujours la même, la lamentation exigée par l’étiquette funèbre de sa tribu. Simplement ceci : « Ô enfant ! Ô enfant ! » suivi de : « Ô enfant le tout petit ! »

Comme je me penchais vers elle, très émue par cette douleur cadencée, je vis son regard, celui même de la jeune opérée à l’hôpital Sadîki, me parcourir des pieds à la tête et compter un à un les boutons de ma veste, sans que pour cela s’arrêtât son lamento.


En rentrant à l’auberge nous pouvions penser que la pauvre histoire n’avait pas d’autre suite.