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La Kroumirie

Dans cette diligence, rebut de France qui, certainement, date de l’époque de Flaubert, au bruit joyeux des grelots, sur une déserte route toujours plus montante et toujours plus sylvestre, nous cahotons depuis des heures en plein romantisme.

Le cocher, un Maltais comme tous les cochers de la région tunisienne à cette époque, porte, malgré la chaleur de septembre, un bonnet de fourrure qu’il ne quitterait pour rien au monde car cette coiffure paradoxale représente la marque distinctive de sa corporation. Les quatre rosses qu’il conduit sont si misérables qu’on voit les os percer la peau de leurs pauvres hanches.

Dans cette guimbarde trop basse où l’on peut à peine redresser le buste, seul un couple de vieux coloniaux, mari et femme, nous fait face.

Le pays des Kroumirs vers lequel nous allons se situe à l’extrême ouest de la Tunisie, aux confins de la province d’Alger. C’est une région montagneuse entièrement recouverte de chênes-lièges et de chênes zéens. On nous a dit que nous y trouverions un hôtel à peu près possible et le climat même de la France. Nous y finirons donc l’été, cure bienfaisante après la brûlure de Carthage.

La journée s’avance. Bientôt la fin du parcours. La diligence est maintenant en pleine forêt. Retrouver de l’ombre et des ronds de soleil étonne mes yeux déjà déshabitués. À des tournants commencent à se dessiner les hauts et les bas de cette Kroumirie qui n’est que mon-