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El Arab

soulevé. Leurs réflexions n’en finissent plus. Ils ne comprennent pas comment une voiture pareille peut marcher sans chevaux, mulets ou ânes. (Ils doivent être habitués, à présent.)

Au plus fort de leurs commentaires, J. C. Mardrus prend la parole. Comme toujours, c’est le coup de foudre de la surprise. Un Roumi qui parle un si bel arabe !

Mon mari, patient, leur explique en termes compréhensibles pour eux ce que c’est qu’un moteur, etc. Quand il a fini son petit cours, écouté dans un silence avide :

— Féhemtou ?… demande-t-il. Avez-vous compris ?

— Aïoua !… répondent-ils tous ensemble (oui !)

Alors le plus vieux se charge de résumer, approuvé par un hochement de tête général. Il pointe un doigt prudent vers le capot et dit :

— Djenoûne, fîh ! (Il y a des djinns, là-dedans !)


Enfin, troisième souvenir, voici la fête nocturne donnée par Jacques de Chabannes à son peuple de travailleurs indigènes.

Mon mari ayant proposé de leur raconter un des contes des Mille et Une Nuits le maître du borj a voulu qu’un si rare événement fut entouré de quelque apparat. On a donc fait servir aux Arabes le méchouis (mouton rôti), le couscouss et des gâteaux ; et, leur festin terminé, nous nous avançons avec nos hôtes à travers les moissons, paysage sans contours ni limites où le couchant vient de se terminer.

Les crépuscules d’Afrique ne traînent pas en longueur comme les nôtres. Quelques minutes après la disparition du soleil, c’est la nuit. Pas de transitions. Il n’y en a pas non plus dans l’âme arabe, je finirai par le savoir un jour.

Comment oublier cette soirée ! Dans la pénombre lumineuse, groupés sur un léger renflement du terrain, les auditeurs s’étaient d’instinct distribués par races. Ici les Kabyles, là les Arabes, les nègres au milieu. Troublé par la présence de deux Roumias, ce public n’osait pas manifester tout son sâoul. Mais quels « ah ! » étouffés, quels