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Carthage

— Ancienne Égypte ? Da é, da ? J’espère, my dear, que jé suis un peu plus européenne que ça !

… Quand enfin nous revînmes des jardins, le dîner continuait toujours. Le moment arriva pourtant de passer dans les salons où l’on nous servit copieusement les boissons permises, juste avant la musique.

C’était encore Ouassîla qui chantait. Elle le fit, cette fois, dans les yeux de la plus vieille des princesses beylicales, qui, penchée vers elle, la regardait fixement sans mais détourner la tête. Deux paires de prunelles avides rivées l’une à l’autre.

Au bout d’une heure de cette séance d’hypnotisme réciproque, Nazli, qui ne voulait pas être comprise, prit soin de n’employer qu’un langage roumi.

— Je vous dis la vérité, ma chère, prononça-t-elle. Quelle corvée pour Ouassîla, ce soir ! Ces Tunisiens sont des barbares, and they can’t understand. Notre musique n’est pas faite pour eux, non, non ! Certainly not ! Et cette hanem pour laquelle elle chanté est laide comme le diable.

Un autre soir. Encore des jardins sous la lune. Ceux de Nazli, pleins de silence, de baumes épars autour des arbres, et pétrifiés de clarté nocturne. Pendant tout le dîner, il n’a été question que de la mort, — on vient de l’apprendre — d’un haut personnage islamique.

— Il paraît, a dit la princesse, que chaque fois qu’arrive such a thing, il y a une étoile nouvelle qui vient se placer près de la lune. ’Ala râssi, je vous dis la vérité, puisque Mourad Effendi est mort, ça doit être comme ça ce soir.

C’est pourquoi, sitôt le dîner fini, nous voici tous sous orangers décolorés par la nuit, et qui sentent bon jusqu’au malaise. Toutes les têtes se sont levées. Proche de la lune scintille cette étoile qui fut là dès la création du monde.

— Machallah ! Elle y est !… s’écrie Nazli très impres-