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El Arab

elle, impassible, vous pouvez ne pas y rester. As you like. Mais, je vous dis la vérité, nous en avons encore pour très longtemps. Alors, yallah ! Nous allons toutes les deux faire un peu de promenade dans les jardins. Tchourda, nous aurons de l’air, la lune ; et les orangers sentent bon.

— Comment ? On peut s’en aller de table avant que le dîner soit fini ?

— Ouallahi, puisque je vous le dis ! Come on !

S’étant levée sans provoquer la moindre question, compatissante, elle m’entraîna.

Dans les jardins nous attendaient les délices de la nuit orientale, parfums impérieux et fantômes bleus sous la lumière froide. Des crapauds qui se répondaient jouaient un air d’orgue celesta dans les ombres et les clartés du grand bassin de faïence entouré de fleurs. Notre promenade resta longtemps sans paroles. Puis la voix en clé de fa de la princesse se fit entendre. Ce fut pour m’apprendre qu’il existait une beylicale beaucoup plus jeune que les autres. Je m’intéressai courtoisement :

— Est-elle jolie ?

— Yes ! Tchock guzèle.

— Comment sont ses yeux ?

— Oh ! dit Nazli. Je vous dis la vérité, ya habibti, I don’t know du tout. Elle a des yeux comme vous et moi.

Les miens sont noirs, les siens étaient des pierres de lune. Je n’insistai pas sur le portrait de la jeune beylicale. La conversation tomba. C’est une chose qui ne gêne en rien les musulmans. Ils peuvent rester des heures ensemble, souriants mais sans se dire un mot. Je l’ignorais encore, et je cherchais sans rien trouver. Enfin :

— Je suis très heureuse de vous connaître. L’autre nuit, pendant que Ouassîla chantait, je me croyais chez une reine de l’ancienne Égypte. (Ignorant jusqu’où son érudition allait, je n’osais risquer plus.)

Je la vis, dans l’immobile clarté lunaire, se redresser, très offensée.