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El Arab

toutes les pièces, en guise de papier mural, étroitement collées les unes auprès des autres, des gravures découpées dans des magazines anglais montaient littéralement jusqu’au plafond.

Tel était le décor de la princesse, image même de son parler en quatre langues.

On comprenait très vite. Farouchement musulmane et parfois, même, fanatique, elle tenait essentiellement à ne pas paraître arriéré. Elle avait, dans sa longue carrière, touché de près aux diplomaties de tous les pays, et sa conversation roulait inlassablement sur la politique. Lord Cromer était son grand cheval de bataille. La façon qu’elle avait de juger les affaires du monde était absolument imprévisible. Enfantillage, superstition, tyrannie, ignorance ; aucun sens critique, aucune psychologie. Mais quelle autorité ! D’ailleurs elle se croyait parfaitement européanisée.

Les dîners qu’elle aimait à donner, suivis de soirées de musique où sa chanteuse attitrée, Sett Ouassîla, s’accompagnait elle-même sur le ’oud ou luth arabe, c’est un de mes plus chers plaisirs que de les évoquer.

Le premier de ces dîners auquel je fus invitée avec J. C. Mardrus, tous deux étant les seuls Roumis de la fête, fut certainement ce qui me surprit le plus parmi mes premiers étonnements d’étrangère à peine débarquée de son Paris.

Nous avions quitté Carthage vers sept heures, et, les présentations faites par Sidi Bou Hageb (déjà notre ami) dans le salon où se tenait sa princière épouse, je crus, quand sonnèrent huit heures, qu’on allait se mettre à table. Tous les hôtes, — des hommes — étaient là, rassemblement de tarbouches ; Nazli hanem, sa cigarette entre deux doigts, parlait déjà politique de sa voix basse de vieille femme où quelque douceur veloutée s’entendait encore. Le temps passait. La faim commençait. Sans pouvoir, devant tout ce monde, poser la question à mon mari, je me demandais si nous ne nous étions pas trompés, si le dîner n’était pas déjà fini ; d’autant plus que le café turc circulait, et les confitures de roses.