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Carthage

« Regardez s’ils sont jolis !… » disait-il amoureusement, Mais aussitôt, avec un rire moqueur : « Et voilà tout ce qui reste d’elle ! »

Au fond du sarcophage dont la statue, maintenant verticale, avait été le couvercle pendant toute une éternité, ce n’était que quelques ossements mêlés à de la résine, cette résine bouillante des Carthaginois qui faisait de leurs morts, en quelques secondes, des squelettes.

Ces modestes fouilles auxquelles on devait pourtant une pièce aussi rare, elles étaient dirigées par les Pères mais exécutées par une unique pioche : celle du patron de l’hôtel, un Italien illettré. Rien, au dehors, ne révélait les sépultures. On tapait au hasard dans la colline, et la mort punique, tout à coup, racontait son secret si bien gardé pendant des siècles.

Les ensevelis semblaient, de leur vivant, avoir tout prévu. Ni les Romains, ni les Vandales, ni les Arabes, ni Chrétiens ne les avaient violés. Tout prévu. Mais pas le patron de l’hôtel Martinole.

Quand sa pioche avait trouvé le bon endroit on pouvait, après déblaiement, descendre dans la tombe. C’était au moyen d’un couffin ou panier à provisions. Une poulie, une corde, et, les deux pieds dans le panier, on s’enfonçait comme dans un puits.

De ces perquisitions funèbres j’ai rapporté quelques menus trésors : un anneau de bronze, quelques monnaies, un rien de fard encore rose, une dent (que je veux être celle d’un suffète) et autres débris auxquels j’ai joint mes trouvailles solitaires, celles que je faisais sans jamais rien chercher, les jours où je descendais à travers les asphodèles jusqu’aux thermes d’Antonin, unique témoin de l’antiquité, c’est-à-dire trois ou quatre colonnes romaines tombées dans les vagues, et qui semblaient rouler avec elles.

Du bout de ma canne indolente je ramenais ce qui se présentait, puis ramassais. Je conserve ainsi de minuscules amulettes qui semblent égyptiennes ; et mon principal butin est ce tout petit adolescent, sorte de biscuit blanc, qui fit jadis l’admiration d’Auguste Rodin.